Le jeune homme scrutait à son tour les livrets :
— Le papier est bien fatigué, — murmura-t-il… — Ces feuillets tiennent à peine…
— Ah ! — exclama le major… — l’un paraît-il plus vieux que l’autre ?
— Ma foi, non. Ils sont également fragiles !
— Si au moins, c’étaient des faux ! Cela me soulagerait.
L’infirmière demanda :
— N’y a t-il pas ici des hommes du même régiment ?
— Pas dans cette baraque… mais sûrement à côté…
En ce moment le blessé rouvrit les yeux. Il jeta un regard obscur sur ceux qui se tenaient auprès de sa couche. Puis, il fit entendre la plainte de tous les supplices :
— J’ai soif !
L’infirmière lui souleva la tête et le fit boire.
Il but goulûment d’abord, puis avec une lenteur lasse.
Peu à peu, son regard s’éclairait ; il demanda :
— Je suis blessé ?
Le major et l’infirmière dardaient sur lui des prunelles éperdues.
— Vous êtes blessé, oui.
— Ah !
Il parut songeur. Par intervalles, sa lèvre s’agitait. Et il avait un léger tressaillement des paupières. Enfin, il chuchota :
— Je me souviens… je suis tombé dans la forêt…
— Dans la lande ! — rectifia le médecin.
— La lande ?… Non… Dans la forêt… près de la lisière. Nous battions en retraite. Un éclat d’obus m’a atteint à la tête… mais j’ai continué à marcher… je crois que je me traînais… et puis…
Une grande ride s’approfondit entre les sourcils :
— Puis, voyons… où suis-je arrivé ?… Je ne sais plus…
Sa voix faiblissait ; les yeux redevenaient brumeux.
— Vous vous appelez Pierre de Givreuse, — fit hâtivement le médecin… — vous êtes né à Avranches, en 1889 ?
— C’est vrai… je m’appelle Pierre de Givreuse.
À l’autre extrémité de la baraque, l’aide-major faisait des signes.