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avec un effarement qui, peu à peu, devenait farouche. Et, d’une voix de rêve :

— On dirait qu’ils ont la même blessure à la tête…

Le médecin écarta tant bien que mal les cheveux roidis par le sang noir, et devint pensif :

— C’est fantastique ! On croirait que deux éclats d’obus identiques ont frappé aux mêmes places.

Il y eut une pause. Le major semblait mécontent. Les brancardiers s’entre-regardaient vaguement, et la femme, d’un geste machinal, joignait les mains :

— Non, ça n’est pas naturel ! — soupira enfin le brancardier Alexandre.

— Tout est naturel ! — fit le médecin avec impatience… — Allons ! il faut les loger…


Il n’y avait que deux lits disponibles, l’un près de l’entrée et l’autre tout au fond de la baraque. On déshabilla les blessés, sans que ni l’un ni l’autre sortissent de leur demi-léthargie.

— Il est aussi blessé au tibia, — remarqua la femme à l’allure d’oréade.

Elle se tenait devant celui qu’on avait installé près de la porte ; elle lui lava doucement le visage.

Au fond du hall, le major Herbelle examinait le second blessé. La fracture du crâne était une blessure assez sérieuse. Une balle avait traversé le tibia, à sept ou huit centimètres du genou…

— Cette torpeur, — soliloqua Herbelle, — ne semble pas consécutive aux blessures… Il est vrai que l’explosion… La guerre sera féconde en désordres nerveux…

Il donna des ordres pour le pansement et s’achemina vers l’autre…

— Rien que la fracture du crâne ? — demanda-t-il.

— Le tibia gauche été traversé par une balle, — répondit un aide-major…

— Le tibia gauche ! — cria Herbelle avec consternation.

— Oui, à six ou sept centimètres du genou.

— C’est impossible !

— Pourquoi ? — fit involontairement le jeune homme.

— Parce que l’autre aussi a le tibia traversé par une balle… et…