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de la paille d’épeautre ; il avait des yeux vastes, couleur de jade, des joues de jeune fille, un front coupé perpendiculairement aux tempes, et très haut. Le sang noir séchait sur son crâne.

— Va bien ! — dit le brancardier… — On est là.

L’homme ne répondit point. Une brume flottait sur ses prunelles ; il parut près de s’endormir.

— Pas bon signe, — reprit le brancardier… — Hé ! Charlet… on l’amène ?

Mais Charlet, attiré par quelque indice, s’avançait vers un haut bouquet de fougères.

— Un autre ! — grommela-t-il.

Il apercevait à la fois l’homme découvert par son camarade, et un autre homme, dans l’intervalle des fougères. Le crépuscule commençait à peine, l’air était diaphane. Charlet regardait les deux blessés. Il remarqua :

— On dirait qu’ils se ressemblent ?

Puis, avec étonnement :

— C’est même extraordinaire… Faut que ce soient des jumeaux ! viens donc, Henriquet !…

Un brancardier roux s’approcha alternativement des deux blessés et déclara avec conviction :

— Pas d’erreur !… Ce sont des jumeaux !…

Le second blessé reproduisait identiquement les traits de l’autre : lui aussi avait du sang coagulé dans les cheveux… Un rêve embrumait ses yeux couleur de jade, et l’on eût dit qu’il allait s’endormir.

— C’est rare ! — repartit Charlet.

— Ben ! et leurs plaques d’identité ?… Attends voir : Givreuse… Édouard-Henri-Pierre… et l’autre ?

— Je trouve rien. Sa plaque a été arrachée…

— Ça va bien ! On verra plus tard. Le temps presse… lambinons pas ! — fit Henriquet. — Ça m’a l’air qu’ils seront mieux en face.

Henriquet et Charlet chargèrent l’homme de la trochée sur leur brancard, tandis que les deux autres chargeaient l’homme de la fougère. Rien n’annonça que les blessés eussent conscience des événements.

La petite troupe sortit de la lande et longea le parc de