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celle de Michelet. Ces récits puissants, colorés et si évocateurs, lui causèrent une bien autre émotion que les fresques correctes et pâles du pauvre Rollin. Le drame de la Révolution la captiva tellement qu’elle en vint à encourir le blâme discret de sa femme de chambre, la jolie Magda, qui la vit avec chagrin négliger de changer sa toilette pour le repas du soir.

Le comte, étonné de cette folle ardeur, venait de temps en temps trouver Louise dans la salle silencieuse dont les parois s’éclairaient des lueurs d’or qu’y jetait sa chevelure blonde.

— Comme vous vous plaisez à la lecture ! — disait-il avec surprise. — Moi, cela me donne toujours une grande tristesse qu’il se soit passé tant de choses… Les œuvres d’imagination ne me délectent pas plus que les ouvrages d’histoire. Nos grands romanciers ont failli me rendre fou : ils inspirent l’épouvante de la vie, qui est déjà assez fâcheuse. Je sens bien plus de poésie dans la musique que dans les livres. Et, du reste, les correspondances de mes paysans et de mes fermiers, et les autres lettres d’affaires que souvent Smith s’obstine à me communiquer, me cassent la tête suffisamment.

Louise expliqua qu’elle lisait pour s’occuper et s’instruire.

— C’est singulier, — fit Kowieski, — cette activité qu’ont les Français. Elle n’est pas méthodique et réglée comme celle des Anglais, elle est souvent sans but… C’est peut-être ce qui les rend aimables…

Ce fut un matin d’août, sous un ciel bleu et frémissant de chaleur, que Louise eut pour la troisième fois des nouvelles de Félicité. Dans sa deuxième lettre sa tante lui avait annoncé le retour de M. Toussard : « Son chagrin et sa colère, disait-elle, ont dépassé tout ce que j’avais redouté. Il a déclaré qu’il ne te reverrait jamais… »

Elle ajoutait que, pour des raisons qu’elle donnerait prochainement, M. Toussard voulait qu’elle-même se retirât du magasin de modes.

Or, dans la lettre qui arrivait en ce matin d’août, il n’était question ni de M. Toussard ni des propres affaires de Félicité, mais d’une chose qui devait troubler Louise de façon autrement vive et poignante :

Hier, j’ai reçu la visite du docteur Lenoël. J’ai été saisie à un tel point que je n’ai pas d’abord trouvé de paroles. Lui-même