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tiquité. La bibliothèque, commencée à l’époque où la gloire des lettres françaises emplissait le monde, leur avait fait une belle place. Les noms de Voltaire et de Rousseau, de Montesquieu et de Buffon luisaient sur les dos de veau fauve et de maroquin des livres alignés au long des tablettes. Mais ce fut le bon Rollin qui fournit à Louise ses premiers enseignements. Les récits bien conduits, et d’une solennité naïve, du recteur de l’Université de Paris, intéressèrent la jeune fille. Par instants, elle se prenait la tête, craignant qu’elle n’éclatât, dans l’effort pour loger tant de noms, tant d’événements, une telle succession vertigineuse de grandeurs, de décadences et de morts.

Son illusion et sa hantise devenaient parfois si fortes qu’elle croyait voir, par delà les murs, des armées en campagne et des contrées sans fin, formant d’immenses empires prêts à disparaître dans la ruine et la fuite de tout.

À sa petite chienne posée sur ses genoux et ruminant un rêve innocent, elle disait :

— Nous nous croyons importantes, ma pauvre Fairy, et nous attachons du prix à nos tristesses et à nos colères, mais elles sont chétives et ridicules et d’une insignifiance que tu ne peux te figurer…

C’est ainsi qu’en étudiant l’histoire elle acquérait, par surcroît, quelque teinte de philosophie.

Elle s’intéressa surtout aux Grecs, dont elle savait qu’ils révélèrent la beauté, et, se souvenant qu’elle avait tenu entre les mains quelques fragments où leur génie s’attestait encore, elle en conçut une fierté mélancolique.

Après l’histoire ancienne, dont elle avait désormais une idée légère et supérieure à celle qu’en a d’ordinaire la belle société, elle se résolut à lire l’histoire de France. — Outre le xviiie siècle, la bibliothèque contenait les principaux écrivains du xixe, jusqu’en 1850 environ. Depuis lors, les achats avaient été peu nombreux, les voyages ou d’autres plaisirs absorbant sans doute les comtes et les comtesses. Les œuvres françaises les plus récentes étaient celles d’Octave Feuillet, quelques pièces de Dumas fils et divers romans, dont un exemplaire de Madame Bovary, assez délabré. Tous ces volumes portaient le chiffre de la mère du comte actuel.

L’histoire que le hasard mit sous les yeux de Louise fut