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Noir, vient s’insérer une partie de narration relative au sujet posé d’abord dans le dialogue. Le sujet de Stello, c’est la condition du poète dans la société, quel que soit le gouvernement, monarchie absolue, monarchie constitutionnelle, ou démocratie. Le sujet de Daphné pourrait être approximativement résumé dans cette interrogation : « Que faut-il enseigner aux hommes pour les rendre heureux ? » La seule différence entre les deux livres au point de vue de la composition est que, dans Stello, il y a plusieurs récits, et qu’il n’y en a qu’un dans Daphné ; en outre, dans Stello, c’est un des interlocuteurs, le Docteur Noir, qui fait ces récits, tandis que dans Daphné la partie narrative est contenue en un manuscrit ancien que lisent ensemble les deux amis.

Le fait que Daphné est la suite de Stello ; la comparaison des écritures de Vigny à différentes époques ; le parti que Vigny tire, au début, d’un événement récent du règne de Louis-Philippe, le sac de l’Archevêché ; tel passage, à la fin, où il est fait allusion à Lamennais et à ses Paroles d’un Croyant publiées en 1833, nous font estimer que Daphné n’a pas été écrite par Vigny très longtemps après la publication de Chatterton et de Servitude et Grandeur militaires, qui ont tous deux paru en 1835. C’est l’époque de Vigny, on ne peut dire la meilleure, puisque son génie est allé s’amplifiant à la fois et s’épurant sans trêve, et puisqu’il a atteint sa cime lyrique, la Maison du Berger, quelque dix ans plus tard ; mais c’est l’époque de son plein épanouissement et de sa relative fécondité, avant que sa mélancolique destinée le desséchât et le stérilisât un peu, en le frustrant au profit de rivaux plus heureux d’une gloire pourtant bien méritée.

Ces conversations entre le Docteur Noir et Stello au début, et à la fin de l’œuvre symétrique du commencement, d’une part ; et, d’autre part, le vieux manuscrit, constituent les deux parties de Daphné, très nettement différentes, et d’inégale longueur.

La première et la plus courte nous montre d’abord un Vigny réaliste, et même par endroits presque naturaliste, assez imprévu et déjà savoureux. En quelques lignes on croirait même d’avance entendre parler un ouvrier des Misérables. Et