Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/479

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les gutturaux sons danois, les voyelles claires et sourdes qu’émettaient le marchand de poisson et la maîtresse de l’hôtel en causant parfois ensemble, échangeait ici et là avec le premier une remarque simple sur la position du baromètre, puis se levait pour redescendre, à travers la véranda, vers la plage où il avait déjà passé de longues heures le matin.

Parfois il y régnait une calme atmosphère d’été. La mer reposait, paresseuse et lisse, en bandes bleues, vert-glauque, ou rougeâtres, sur lesquelles jouaient en scintillant des reflets argentés. Le varech séchait au soleil, des méduses demeurées là se volatilisaient. Cela sentait un peu la décomposition et aussi un peu le goudron de la barque de pêcheur à laquelle Tonio Kröger était adossé, assis dans le sable de façon à voir l’horizon libre et non les côtes danoises ; mais la respiration légère de la mer passait fraîche et pure sur tout cela.

Puis vinrent de gris jours de tempête. Les vagues courbaient leurs têtes comme des taureaux qui s’apprêtent à donner des cornes et couraient rageusement contre la côte, qu’elles arrosaient très haut et couvraient d’algues, de coquillages luisants d’eau, et d’épaves. Entre les longues collines formées par les vagues, s’étendaient, sous le ciel couvert, des vallées d’un pâle vert écumeux, pendant que là-bas, à l’endroit où le soleil se cachait derrière les nuages, un éclat blanchâtre et velouté reposait sur les eaux.

Tonio Kröger se tenait debout, enveloppé par le bruissement du vent, absorbé dans ce fracas fatigant, étourdissant, continuel qu’il aimait tant. S’il se détournait et s’en allait, tout semblait soudain devenir tranquille et chaud autour de lui. Mais il savait qu’il avait la mer derrière lui ; il entendait son appel, son salut, sa promesse. Et il souriait.

Il se dirigeait vers l’intérieur du pays, à travers la solitude des prairies, et bientôt la forêt de hêtres qui s’étendait, montueuse, jusque loin dans la contrée, l’accueillait. Il s’asseyait dans la mousse, adossé à un arbre, de façon à apercevoir entre les troncs une bande de mer. Parfois le vent lui apportait le bruit des vagues se