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Enfin, voici le second poème qu’il a consacré à la Révolution. Il ne faut pas le comprendre comme une explosion de haine, mais là encore comme un appel de l’amour, de l’amour à la russe, tout mêlé de menaces qui retomberont sur lui. Si vous ne voulez pas être nos frères, crie-t-il, nous chercherons un refuge dans nos forêts, nous préférerons la solitude sauvage à la civilisation meurtrière. Pour Block, la guerre, si on la prolonge, aboutira à une catastrophe mondiale ; et puis, ce « calcul intégral » qui « anime les canons » peut servir des deux côtés — l’exemple du Japon le prouve. À la raison scientifique s’oppose l’instinct, la prière, le mysticisme, et la « lyre barbare » qui convie à la paix fraternelle.

Ainsi donc, le fond de tous ces poèmes, c’est un vaste désir de fraternité, et voilà pourquoi Alexandre Block, pour l’avoir exprimé avec tant de puissance étrange, est un grand poète national. Il est mort à son poste, au milieu de son peuple souffrant. Peut-être, à parcourir les poèmes que nous publions ici, les lecteurs d’Occident s’expliqueront-ils l’âme déchirée de la Russie d’aujourd’hui.

LES SCYTHES




Vous êtes des millions. Et nous sommes innombrables comme les nues ténébreuses.
Essayez seulement de lutter avec nous !
Oui, nous sommes des Scythes, des Asiatiques
Aux yeux de biais et insatiables !

À vous, les siècles. À nous, l’heure unique.
Valets dociles,
Nous avons tenu le bouclier entre les deux races ennemies
Des Mongols et de l’Europe.

Durant des siècles, votre antique haut-fourneau forgeait,
Étouffant les tonnerres de l’avalanche.
C’était un conte bizarre pour vous que l’effondrement
De Lisbonne et de Messine !

Durant des siècles vous avez regardé à l’Orient,
Thésaurisant et refondant nos perles.
Et, nous raillant, vous n’attendiez que l’heure
De diriger sur nous les gueules de vos canons.