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ronde, tuent une prostituée parce qu’elle leur a préféré un soldat. Cela se passe entre la neige blanche et le ciel noir. Tout, chez ces assassins, leur aspect, leurs propos, leurs chansons, est ignoble, mais le principal d’entre eux est saisi de repentir, et, pour lui, le Christ, invisible, surgit dans la tourmente. Y a-t-il là, de la part de Block, l’apologie du bolchévisme ou sa condamnation ? Les Russes en discutent sans pouvoir s’entendre. L’explication est peut-être que le poète pardonne aux meurtriers, sans être bolchéviste lui-même. Voici, qui le prouverait, un fragment de lettre en vers qu’il écrivit le 19 juillet 1920, à son ami Léo Ly :


 

Je vois un visage de jeune fille
Et je vois l’immondice et la lèpre.
Ne m’accuse pas. — parce que du coup
Je ne suis pas arrivé à tout comprendre.
Pardonne, — j’ai un tel besoin d’amour.
Comprends, — j’ai un tel besoin de croire…
Je suis prêt à boire la coupe entière
Si je pouvais alors supprimer le passé…
J’ai un poids sur moi, je n’en puis plus…
J’ai froid dans l’âme, —
Mon cher Léo, je ne mens pas,
Il vient, — il vient déjà, le Christ !
— Et dans le temple ancien, nous deux,
Nous pourrons prier à genoux
La Vierge-mère pour qu’elle nous reprenne
Des lourdes ténèbres, dans son jardin parfumé…
Nous vivons dans des siècles très grands :
Tout est renversé, enchevêtré et comprimé…
Mais, autrefois, est-ce que notre vie, à nous autres,
Était si facile que cela ?
Quant à ces grimaces, ces gueules, cette pourriture,
Elles s’évanouiront, comme songes des nuits de cauchemar,
Et notre histoire véritable sera un conte…
Souffre, prie — ingrat !

En un trou obscur, dans une pauvre petite église,
Dans le chant, l’encens, le scintillement des cierges,
Nous tenant humblement sur le seuil des portes,
Nous serons si gênés de voir
Les hommes sortir des bêtes…