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Nous n’avons pas la force d’oublier.
Années de la foudre,
Êtes-vous l’appel de la folie ou de l’espoir ?
De ces jours de guerre, de ces jours de liberté
Nos visages gardent le sanglant reflet.
Ce silence — c’est le fracas du tocsin
Qui nous a étranglé le gosier.
Dans les cœurs jadis enthousiastes
Il y a un vide fatal.
Nous périrons. Déjà sur notre lit de mort
Tournoient les corbeaux.
Ceux qui viendront après nous et qui seront meilleurs,mon Dieu,
Qu’ils voient Ton Royaume…

Et alors, ce cœur révolutionnaire évoque le Christ :

Quand, dans le feuillage humide et mouillé
Poindra la grappe du sorbier ;
Quand le bourreau, de sa main osseuse,
Plantera dans ma paume le dernier clou ;
Quand, sur les rides des rivières couleur de plomb,
Sur la hauteur grise et mouillée,
En face de ma patrie sévère,
Je vacillerai en croix…
Alors, largement, au loin,
Je regarde, à travers le sang de mes dernières larmes,.
Et je vois : sur le très large fleuve,
En barque, vient à moi le Christ.
Dans ses yeux — les mêmes espérances,
Et sur Lui les mêmes haillons,
Et, pitoyablement, son vêtement laisse entrevoir
La paume percée par le clou.


C’est alors que Block écrivit les Heures nocturnes, et que l’amour le voua à la Russie, désormais pour toujours. Mais la guerre éclate, et il part pour le front. Puis c’est la Révolution qui éclate. Et elle aussi, Block l’aimera. Son grand poème Les Douze, est significatif. et l’on y voit avec quel art il a su trouver une forme inédite pour un sujet nouveau. Ce sont douze gardes rouges qui. au cours d’une