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— Bon, cela suffit ! dit M. Seehaase avec résolution.

Il rassembla les feuillets, les plia et les lui rendit.

— Cela doit suffire, Petersen ! répéta-t-il d’un ton bref, clignant des yeux à la dérobée et secouant la tête en signe de dénégation. Nous ne devons pas retenir Monsieur plus longtemps. La voiture attend. Je vous prie, Monsieur, d’excuser le petit dérangement. L’agent n’a fait que son devoir, mais je lui ai dit tout de suite qu’il était sur une fausse piste.

— Ah ? pensa Tonio Kröger.

L’agent ne semblait pas tout à fait convaincu ; il objecta encore quelque chose où il était question d’« individu » et de « produire ». Mais M. Seehaase reconduisit son hôte à travers le vestibule, en réitérant l’expression de ses regrets, l’accompagna entre les deux lions jusqu’à la voiture, et ferma lui-même avec toutes sortes de témoignages de considération, la portière sur le voyageur. Après quoi la voiture ridiculement haute et large dégringola avec un bruit de vitres et de ferraille le long des rues en pente jusqu’au port…

Tel fut l’étrange séjour de Tonio Kröger dans sa ville natale.




Thomas MANN.
(Traduction de Geneviève Maury)

(À suivre.)