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Là-dessus il gagna la porte, mais ce fut un départ douteux, et il sentait distinctement que le fonctionnaire, très troublé par sa visite, resterait encore plusieurs minutes debout, à cligner des yeux.

Il ne se sentait nulle envie de pousser plus loin ses investigations. Il avait été à la maison. En haut dans les grandes pièces situées derrière la galerie à colonnade, habitaient des étrangers, il le voyait, car le haut de l’escalier était fermé par une porte vitrée qui n’existait pas autrefois, et un nom quelconque était écrit dessus. Il s’en alla, traversa le vestibule sonore et quitta sa maison paternelle. Dans le coin d’un restaurant, il avala, plongé dans ses réflexions, un repas lourd et gras, puis il retourna à l’hôtel.

— J’ai fini, dit-il au beau monsieur en noir. Je pars ce soir.

Il commanda sa note, ainsi que la voiture qui devait le mener au port pour prendre le bateau de Copenhague. Puis il monta dans sa chambre, s’assit devant la table, et demeura là, immobile et droit, la joue appuyée dans la main, et fixant sur le tapis devant lui des yeux absents. Plus tard, il régla sa note et prépara ses affaires. À l’heure fixée, on annonça la voiture et Tonio Kröger descendit, prêt à partir.

En bas, au pied de l’escalier, le beau monsieur en noir l’attendait.

— Pardon ! dit-il en repoussant du petit doigt ses manchettes dans ses manches. Excusez, Monsieur, si nous sommes obligés de vous retenir encore une minute. M. Seehaase — le propriétaire de l’hôtel — voudrait vous dire deux mots. Une simple formalité… il est ici derrière… Voulez-vous avoir l’obligeance de vous donner la peine… Ce n’est que M. Seehaase, le propriétaire de l’hôtel.

Et il conduisit Tonio Kröger, en l’invitant à le suivre par de nombreux gestes, au fond du vestibule. Là se trouvait en effet M. Seehaase. Tonio Kröger le connaissait depuis son enfance. Il était petit, gras et avait les jambes arquées. Ses favoris tondus étaient devenus blancs, mais il portait toujours une jaquette largement taillée et une calotte de velours brodée de vert. Au reste, il