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et de singulier. Oui, il avait quelque chose de singulier en lui sous tous les rapports, qu’il le voulût ou non, et il était seul et exclu du milieu des gens comme il faut et habituels, bien qu’il ne fût pourtant pas un bohémien dans une roulotte verte, mais le fils du consul Kröger, de la famille des Kröger. Mais pourquoi Hans l’appelait-il Tonio tant qu’ils étaient seuls, et avait-il honte de lui dès qu’un troisième survenait ? Parfois il lui témoignait de la compréhension et de l’affection, oui. « De quelle façon le trahit-il donc, Tonio ? » avait-il demandé et il avait glissé son bras sous le sien. Mais lorsque Immerthal était arrivé, il avait tout de même poussé un soupir de soulagement, il l’avait délaissé, et il lui avait reproché sans nécessité son prénom étranger. Comme c’était douloureux de voir clair dans tout cela !… Hans Hansen l’aimait un peu au fond, quand ils étaient entre eux, Tonio le savait. Mais si un troisième survenait, Hans avait honte de lui et le sacrifiait, et Tonio était de nouveau seul. Il pensa au roi Philippe. Le roi a pleuré.

— Mon Dieu, dit Erwin Immerthal, il faut maintenant vraiment que j’aille en ville ! Adieu, vous autres, et merci pour les bonbons !

Là-dessus il sauta sur un banc qui se trouvait au bord du chemin, courut tout le long avec ses jambes arquées et partit au trot.

— J’aime Immerthal, dit Hans avec conviction.

Il avait une façon d’enfant gâté et sûr de soi, de proclamer ses sympathies et ses aversions, de daigner pour ainsi dire les distribuer… Puis il se remit à parler des leçons d’équitation parce qu’il était lancé sur ce sujet. Du reste on approchait de la maison des Hansen ; le chemin par les remparts n’était pas très long. Ils serraient fortement leurs coiffures et penchaient la tête contre le grand vent humide qui grinçait et gémissait dans les branches dénudées des arbres. Et Hans Hansen parlait, tandis que Tonio jetait seulement de temps à autre avec effort un « tiens » ou un « oui », et restait insensible au fait que Hans, dans le feu du discours, avait de nouveau pris son bras, car ce n’était là qu’un rapprochement apparent et sans signification.