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était, être aimé de lui, et il sollicitait son affection à sa manière, qui était une manière lente, profonde, pleine d’abnégation, de souffrance et de mélancolie, mais d’une mélancolie plus brûlante et plus dévorante que toute l’impétueuse passion que l’on aurait pu attendre de son apparence étrangère.

Et sa sollicitation n’était pas tout à fait vaine, car Hans, qui estimait en lui une certaine supériorité, une facilité de parole permettant à Tonio d’exprimer des choses difficiles, comprenait très bien que l’affection en présence de laquelle il se trouvait était d’une force et d’une délicatesse rares, il s’en montrait reconnaissant, et causait à Tonio bien des joies par sa façon d’y répondre, mais aussi bien des tourments, dus à la jalousie, à la déception et à l’inutilité de tout effort pour établir entre eux une communauté spirituelle. Car, chose remarquable, Tonio qui enviait la manière d’être de Hans Hansen, s’efforçait cependant continuellement de le convertir à la sienne, ce qui ne pouvait réussir que par instant, et seulement d’une façon illusoire.

— Je viens de lire quelque chose d’admirable, quelque chose de magnifique, disait-il. Ils marchaient, puisant en commun dans le cornet de bonbons aux fruits qu’ils avaient acheté pour deux sous chez l’épicier Iwersen, rue du Moulin. Il faut que tu le lises, Hans, c’est Don Carlos de Schiller. Je te le prêterai, si tu veux…

— Non, non, laisse cela, Tonio, dit Hans Hansen, ce n’est pas une lecture pour moi. J’aime mieux mes livres sur les chevaux, tu sais ; il y a dedans des illustrations épatantes, je t’assure. Une fois que tu viendras chez moi, je te les montrerai. Ce sont des photographies instantanées, et l’on voit les bêtes en train de trotter, de galoper, de sauter, dans toutes les positions que l’on ne peut pas du tout voir dans la réalité, parce que cela va trop vite.

— Dans toutes les positions ? demanda poliment Tonio. Oui, ce doit être joli. Mais, pour en revenir à Don Carlos, cela dépasse tout ce que l’on peut imaginer… Il y a dedans des passages, tu verras, qui sont tellement beaux que cela vous donne une secousse, que c’est comme si quelque chose éclatait.