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respect des choses saintes : les tartuffes sous-mains ont eu l’adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté ; et les originaux, enfin, ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu’elle fût, et quelque ressemblante qu’on la trouvât. » Voilà un texte singulièrement précis. Molière nous dit deux choses, et même trois. D’abord qu’il y a eu des originaux de son personnage, ensuite que ceux-ci se sont remués à l’annonce même de sa pièce, et enfin qu’ils ont réussi à en empêcher la représentation.

Nous savons dans quelle direction il nous faut pousser l’enquête. Connaît-on des gens qui, ayant appris le projet de Molière, en aient été émus et se soient occupés de le contrecarrer ? Critiques et historiens se sont épuisés fort longtemps à les chercher. C’est seulement dans les derniers mois de l’année 1900 qu’on a pu mettre un nom sur un groupe d’hommes qui semblent bien s’être désignés eux-mêmes comme étant ceux que Molière a visés dans son placet. C’est à ce moment, en effet, que dom Bauchet-Filleau, bénédictin, a publié les Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement de l’Autel, rédigées, à la fin du dix-septième siècle, par un ancien membre de la Compagnie, un de ses anciens chefs, René II de Voyer d’Argenson ; et d’Argenson nous révèle que, dans sa séance du 17 avril 1664 — la représentation des trois premiers actes de la comédie devait être donnée le 12 mai suivant à Versailles — la Compagnie « parla fort de travailler à procurer la suppression de la méchante comédie de Tartuffe. Chacun se chargea d’en parler à ses amis qui avaient quelque crédit à la cour pour empêcher sa représentation[1] ».

Qu’était-ce donc que ce comité mystérieux et qui se montrait si attentif à supprimer une pièce jugée mauvaise ? La Compagnie du Saint-Sacrement est aujourd’hui connue. On sait qu’elle était vraiment ce que les gens du dix-septième siècle appelaient la Cabale des dévots, laquelle n’était pas, autant qu’on pouvait se le figurer, quelque chose d’inorganique et d’imprécis, mais une association fortement constituée, avec des chefs obéis et des ramifications tentaculaires dans tout le royaume. Des travaux

  1. Annales, p. 231.