Page:Revue de Genève, tome 2, 1921.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

à faire pousser, pour l’édification de quelques initiés, les plus belles fleurs de la piété ; il devient tout simplement le bouillon de culture où pulluleront les pires microbes. Ce n’était pas le but poursuivi : c’est le résultat atteint.

Nous ne prêterons pas tous ces raisonnements à Molière. On n’arrive à les faire qu’après avoir étudié patiemment, et dans les documents authentiques, la véritable histoire de la Compagnie du Saint-Sacrement. Mais il faut avouer qu’au moment où il a composé sa pièce, la Compagnie, sans être expressément connue, ne l’était, dans une certaine mesure, qu’en raison des scandales qu’elle avait provoqués, des irritations plus ou moins justifiées qu’elle avait suscitées, des intrigues plus ou moins réelles qu’on lui attribuait. Sous la forme où son action était soupçonnée, elle scandalisait les vrais dévots, elle faisait peser sur quiconque avait une foi agissante une accusation d’hypocrisie. Molière, qui avait tant souffert d’attaques ouvertes ou sournoises, pouvait-il ne pas subir le contre-coup de cette opinion générale ? Sa pièce a été sa façon de réagir. Et, s’il semble parfois être allé trop loin, s’il y a, dans son Tartufe, à côté de tout ce qu’il dit en faveur de la vraie dévotion, une trace subtile de méfiance et d’inquiétude à l’égard de la religion, à qui faut-il s’en prendre, sinon à ceux qui avaient trop bien voulu la protéger et travailler pour elle ? De telle sorte qu’en nous rendant aujourd’hui un compte exact de ce que la Compagnie a voulu être et de ce qu’elle a été, en reconnaissant volontiers — et, disons le mot, avec quelque soulagement — la pureté de ses intentions premières, nous ne trouvons rien à changer dans ce jugement porté, il y a quelque vingt ans, sur Tartuffe et la Compagnie du Saint-Sacrement : « L’intrigue qui se fait haïr, attire la haine sur la piété à laquelle elle s’associe. On se figure servir la gloire de Dieu par des malhonnêtetés que l’intention est chargée de sanctifier ; on n’aboutit qu’à faire détester la fin elle-même qu’on déshonore par des moyens indignes. On veut convertir le monde et on lui communique la répugnance de la piété vivante. Après avoir poursuivi la conquête des âmes, on prépare la révolte des consciences. Ce qui s’est passé dans le for intérieur d’un poète comique