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« Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche. » A quoi le prince répondit : « La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion dont ces messieurs ne se soucient point, mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. »

La réplique de Molière porta, bien qu’elle ne fût pas mise en circulation dans le public. Le roi ne la garda pas tout à. fait pour lui-même et la laissa sans doute circuler sous le manteau[1]. Molière se montrait de taille à parer et riposter. La Compagnie le comprit et, dans sa séance du 14 septembre, « elle résolut de faire exhorter une personne de capacité de ne rien écrire contre la comédie de Tartufe, et l’on dit qu’il valait mieux l’oublier que de l’attaquer, de peur d’obliger l’auteur à se défendre[2] ».

Un point est bien acquis : le Tartuffe, dès sa première apparition, s’est heurté à l’hostilité des confrères du Saint-Sacrement. Ce sont eux, et non pas d’autres, qu’on est en droit de voir derrière les hommes dont Molière a dû repousser l’agression, et il ne faut pas oublier qu’il affirme lui-même avoir été attaqué par les originaux de sa pièce.

II

On doit ici se poser une question. Nous voyons bien que Molière se défend contre des ennemis, et nous savons, d’autre part, que ces ennemis étaient dans la Compagnie du Saint-Sacrement ; mais lui-même a-t-il su où ils étaient ? Puisqu’il s’agissait d’une société secrète, pouvait-il en avoir percé le mystère qui l’a enveloppée jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle ?…

La difficulté n’est qu’apparente. La Compagnie du Saint-Sacrement avait échappé, jusqu’alors, à toutes les

  1. La preuve en est que, dès avril 1665, alors qu’elle ne sera publiée que quatre ans plus tard, un des plus implacables adversaires de Molière, celui qui se cache sous le pseudonyme du Sieur de Rochemont, la citera, à cinq reprises, dans son libelle : Observations sur le Festin de Pierre.
  2. Annales, p. 235.