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Cette pièce plut à Sa Majesté qui en parla trop avantageusement pour ne pas irriter la jalousie des ennemis de Molière et surtout la cabale des dévots[1]. »

On se représente assez bien certaines des conversations tenues dans cette cour, où tous les regards étaient sans cesse dirigés vers le roi, où la grande question était chaque jour de savoir qui avait eu l’honneur d’être reçu par Sa Majesté et quels propos la bouche auguste avait laissé tomber. La faveur accordée au comique avait fait jaser. Les dévots avaient été avertis. De là, la décision prise dans le conciliabule du 17 avril.

Les démarches préparées ce jour-là n’eurent pas tout le résultat qu’on en espérait. La pièce — ou du moins ses trois premiers actes — fut jouée. Mais les instances continuèrent. Brossette nous donne le nom de celui qui s’en était chargé : c’était M. de Péréfixe, archevêque de Paris. Il ne faisait pas partie de la Compagnie du Saint-Sacrement ; mais, selon leur habitude, les confrères firent agir un homme qui ne risquait point, n’étant pas lui-même initié, de les compromettre. L’archevêque parla au roi et « le roi, continue Brossette, pressé là-dessus à diverses reprises, dit à Molière qu’il ne fallait pas irriter les dévots ». Brossette est admirablement renseigné puisque l’historiographe de la Compagnie nous dit : « A l’assemblée du 27e de mai, on rapporta que le roi, bien informé par M. de Péréfixe, archevêque de Paris, des mauvais effets que pouvait produire la comédie de Tartuffe, l’avait absolument défendue[2]. »

Le roi n’était pas allé aussi loin que les confrères l’avaient désiré. Mais, sans interdire formellement à Molière la représentation de sa pièce, il lui avait demandé de l’ajourner un peu jusqu’à l’apaisement des pieuses colères qu’il avait suscitées. Il n’avait même pas dissimulé le bien qu’il pensait de la comédie : « J’ai cru. Sire, écrit expressément Molière dans son premier placet, que Votre Majesté m’ôtait tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu’elle ne trouvait rien à dire dans cette comédie qu’elle

  1. Correspondance entre Brossette et Boileau, publiée par A. Laverdet (1858), pages 563 et 565.
  2. Annales, p. 232.