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psychologie ! — Si l’on ajoute que la doctrine freudienne, née et grandie au contact de l’observation, a subi une évolution constante qui l’a, sinon transformée, du moins renouvelée au fur et à mesure que s’enrichissait l’expérience du maître, si l’on songe qu’elle recourt à une foule de néologismes, de concepts nouveaux et souvent mal définis, on comprendra aisément que l’œuvre de Freud n’ait pas été l’objet d’une étude attentive, surtout dans les pays de langue française.

Deux ou trois ans avant la guerre, comme je rendais visite au Dr  Freud, celui-ci me montra un rayon de sa bibliothèque où s’alignaient ses principales œuvres dans les langues les plus diverses, anglaise, hollandaise, russe, polonaise, hongroise, italienne…

— Pas une seule traduction française ! remarqua-t-il.

Et il semblait en être d’autant plus étonné qu’il n’a jamais caché l’influence qu’avaient eue sur l’éclosion de ses théories, et son stage à la Salpêtrière, chez Charcot, et les premiers travaux de Pierre Janet sur l’automatisme psychologique. Il s’était figuré que l’esprit latin, si souple, serait plus apte à saisir les finesses de la vie mentale et les sous-entendus du subconscient, et lui accorderait, sinon le suffrage, tout au moins l’attention que ses compatriotes lui refusaient de la façon la moins courtoise. Ses premières communications dans les sociétés médicales de Vienne, il y a vingt ou vingt-cinq ans, avaient été en effet accueillies avec un silence glacial, et peu à peu, le vide s’était fait autour de sa personne, à tel point qu’il se comparait lui-même à Robinson dans son île.

Mais, chose inattendue, les Français ont été les tout derniers à s’intéresser à son œuvre. La première fois qu’ils en entendirent parler, ils en firent des gorges chaudes. Même M. Janet ne paraît pas avoir saisi ce qu’elle a de spécifiquement original et de fécond. La psychologie française semble répugner à la conception dynamique de l’activité mentale, qui s’est répandue avec profit dans d’autres pays, et qui est l’une des caractéristiques de la psychologie freudienne. Serait-ce qu’elle subit encore l’influence de Condillac et des idéologues, et de Taine, leur admirateur, qui, de peur d’ouvrir la porte à quelque