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sur l’absurdité, évidente à leurs yeux, d’un projet dont la réalisation impliquerait une communauté de désir entre des races que leurs traditions, leurs idéals et toutes les conceptions qu’elles ont de la vie opposent à tout jamais ! Je ne saurais contester qu’il n’y ait encore, même dans les races les plus civilisées et dont la culture est la plus étendue et la plus élevée, une disposition naturelle à se venger quand on leur a fait du tort, et qu’elles ne soient très promptes à la querelle, sitôt qu’elles ont sujet de craindre qu’on cherche à leur nuire. Mais je suis persuadé que la plupart seront d’accord avec moi si j’affirme que le recours à la violence entre individus, dans le cas où ils ont à se défendre, se fait de plus en plus rare à mesure que les années marchent. La procédure légale a fait partout une concurrence victorieuse à la méthode des cartels et des duels qui offrait jadis à la bouillante jeunesse et aux hommes emportés tant d’occasions de calmer la chaleur de leur sang. Dans plusieurs pays déjà, le duel aboli appartient à l’histoire du passé. On peut d’ailleurs observer que les gouvernements, et à leur exemple les classes sociales et les partis politiques, s’accoutument de plus en plus à choisir des arbitres pour juger leurs différends. Si l’on ne peut attendre d’eux qu’ils aplanissent toujours toutes les difficultés, au moins leur intervention contribue-t-elle à modérer la fureur des luttes qu’il est impossible d’éviter.

Il me paraît que ce progrès s’est affirmé à la faveur du pouvoir croissant des grandes masses, et de la liberté plus générale du suffrage parmi les peuples de toutes les nations qui, à des degrés différents, se sont civilisées. Ceux qui furent autrefois les instruments misérables des ambitions et des passions des grands ont réussi peu à peu, au prix de quelles peines ! à convaincre leurs maîtres d’autrefois du droit qu’ils avaient, eux aussi, à disposer de leur vie et de leurs biens. Leur esprit s’est lentement éveillé à l’idée obscure que toutes les guerres dans lesquelles ils étaient entraînés malgré eux n’étaient pas toujours des guerres nécessaires ni légitimes. Et, bien qu’il leur arrivât d’en retirer quelques avantages, selon que la fortune avait favorisé leurs chefs, ce n’était pas un peu d’or ou de terre qui pouvaient compenser, quand ils trouvaient la mort,