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ment peu croyable que l’Allemagne accepte comme définitives les frontières qui lui ont été fixées à l’est et au sud. Comment, du côté français, se reposer sur la confiance que les compétitions politiques sont finies ?

L’obstacle à la naissance de rapports amicaux entre les deux peuples ne tient pas tant aux cruels souvenirs et aux ressentiments de la guerre qu’aux dispositions du traité de paix. Le Français n’est pas vindicatif. Il est éminement sociable. C’est même un des traits de son caractère d’aimer à être aimé et d’être douloureusement surpris quand il s’aperçoit qu’il ne l’est pas. Pendant de très longues années, aux temps anciens, les Français et un grand nombre d’Allemands ont vécu, comme nous l’avons rappelé plus haut, dans une cordialité et une amitié complètes, au point qu’ils combattaient parfois sous les mêmes drapeaux. Le nom du maréchal de Saxe, célèbre par l’histoire et la littérature, illustre cette époque. Il n’y a donc pas incompatibilité d’humeur, hostilité de principe entre Français et Allemands. Pour qu’ils vivent en bon voisinage il suffit (mais il faut) que les conditions politiques nécessaires à cette compénétration aient recommencé d’exister.

Malheureusement, elles n’existent pas. Par quel endroit veut-on que la France prenne le bloc allemand ? L’influence morale de l’étranger glisse fatalement sur un peuple nombreux, uni par un lien national solide. Un Kurt Eisner, un Dorten se sont montrés accessibles à des sentiments de sympathie à notre égard. Ils ont été dénoncés comme des traîtres à la patrie allemande. Kurt Eisner a même été assassiné. Dorten a failli l’être. Ce n’est pas ce qui encouragera les autres.

Alors que nous reste-t-il à faire ? Ce que nous faisons : prendre nos précautions, nous tenir sur nos gardes, nous souvenir de nous méfier. Je sais qu’on reproche à la France cet état d’esprit. Il est créé et légitimé par les conditions de la paix. Ceux qui accusent la France de « militarisme » oublient que, depuis deux ou trois générations, nous subissons le harnois militaire, que nous ne l’avons jamais désiré et qu’une mauvaise organisation de l’Europe nous l’impose encore. Aucun homme raisonnable n’a jamais conçu comme une chose bonne et souhaitable que les