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allemande pour la rendre incompatible avec la réconciliation de l’Europe.

Si l’unité allemande, telle qu’elle était sortie des victoires de 1866 et de 1870, n’a pu être un gage de fraternité et de paix, l’unité allemande, telle qu’elle sort de la défaite, ne promet pas mieux. Encore une fois, les antécédents l’auront voulu. Nous admettons, pour la commodité de l’exposition, que l’Allemagne restera républicaine et qu’elle sera une démocratie selon le mode et la conception des nations occidentales. Cette Allemagne démocratique, elle a à payer aux Alliés les frais de la guerre, à réparer les dommages immenses dont elle s’est rendue responsable. Pouvait-on l’en dispenser ? Non, sous peine de ruine pour les peuples victimes de son agression. A tous les points de vue, l’impunité eût été impossible. Elle eût été un scandale, une prime à l’immoralité politique, un encouragement à recommencer. Il résulte de là que 60 millions d’Allemands[1] formant un seul Etat, ayant derrière eux un grand passé, sont condamnés à payer une redevance dont le règlement s’étendra sur deux générations au moins. Aussi juste qu’insuffisante pour nous, cette redevance est ressentie comme exorbitante et inique par l’Allemagne. A mesure que s’éloigneront les souvenirs de la guerre et l’impression de la défaite, la force de ce sentiment croîtra. Nul n’y peut rien. Une autre fatalité l’a voulu. Insensés seraient les Français qui compteraient sur l’amitié du peuple allemand devenu leur débiteur, qui compteraient même, chez le vaincu, sans le désir naturel de déchirer un traité qui l’obligera à travailler trente ou cinquante ans pour acquitter son énorme dette.

À ces 60 millions d’hommes, citoyens d’un même pays, il n’a pas fallu seulement imposer le tribut. Il a fallu encore prendre contre eux des précautions légitimes et indispensables. Il a fallu fixer le nombre de soldats et de canons qu’ils seraient libres de conserver et, par conséquent, limiter le droit de souveraineté de l’Etat allemand. Ce n’est pas tout. Des frontières nouvelles ont été dessinées et ces

  1. « Douze à quinze de trop pour le territoire », disait Arthur Heichen dans la Neue Zeit du 3 octobre : quelques mots qui ouvrent d’étranges horizons.