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sécurité. Ces questions, que le monde entier connaissait, l’Allemagne ne se les posait même pas. Elle fondait sa politique sur la négation de ces réalités. Conserver des provinces françaises conquises contre le vœu de leurs habitants était pour elle l’exercice d’un droit naturel. S’armer sans cesse de manière à pouvoir à tout moment envahir ses voisins, c’était l’exercice d’un autre droit. Voilà les conditions dans lesquelles la France a réussi, pendant près d’un demi-siècle, à force de modération et de dignité, à vivre en paix avec la puissante Allemagne, sans aliéner son indépendance vis-à-vis d’elle. Durant cette période, les relations franco-allemandes n’ont pas été faites d’autre chose jusqu’à ce qu’elles fussent rompues par la volonté de l’Allemagne elle-même.

Mille ans d’histoire avaient vu déjà bien des changements, bien des retournements de situation entre l’Empire germanique et la France. La période 1871-1914 a été celle d’une expérience toute particulière. La France et l’Allemagne avaient achevé leur unité. Mais l’unité de la France était purement nationale, sans un protestaire. L’unité allemande comprenait des Français, des Polonais, des Danois, annexés par la force. De plus, l’Allemagne, jadis « République de princes », était devenue une monarchie militaire. La France était une démocratie pacifique. Entre cette Allemagne et cette France ainsi constituées, il n’y avait ni proportion, ni équilibre, ni moyen de vivre autrement que sous le régime de la paix armée. Cette expérience a été courte relativement à la longueur des siècles. Elle a été concluante. L’Allemagne s’est chargée de la démonstration. L’état de choses que la France et l’Europe subissaient, l’Allemagne, qui en recueillait les bénéfices, a été la première à le rendre caduc.

Ce coup d’œil en arrière était indispensable pour éclairer l’avenir. Quelle que soit l’immensité des événements (et il ne peut y en avoir qui dépassent ceux de la guerre universelle) il existe toujours un lien entre la situation qui suit un bouleversement politique et celle qui l’a précédé. La continuité est la loi de l’histoire et elle apparaît à travers les plus grandes révolutions. Cette continuité s’expliquerait par le seul fait que les hommes qui conduisent