Page:Revue de Genève, tome 1, 1920.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duquel elle était la plus intéressée. L’empire allemand aurait dû être conservateur. C’est lui qui s’est chargé de tout renverser. A quoi cette formidable erreur a-t-elle tenu ?

Les Allemands vantent la méthode objective. C’est sans doute parce qu’ils sont les plus subjectifs des hommes. On peut dire que, de la paix de Francfort à la déclaration de la grande guerre, l’attitude de l’Allemagne vis-à-vis de la France a été un cas d’inintelligence remarquable. Du commencement à la fin, elle s’est trompée sur le peuple français. Munis d’un service de renseignements perfectionné, les Allemands n’oubliaient de regarder qu’une chose : celle que tout le monde pouvait voir sans espions. Un de leurs plus célèbres caricaturistes a laissé, il y a déjà longtemps, ce portrait du « psychologue. » Sur la route, le psychologue passe. Dans le jardin d’une maison de campagne, une famille est réunie et, ce qu’elle fait, tout le monde le voit du dehors. Mais le psychologue s’approche, il colle son œil au trou de la serrure et il observe studieusement.

C’est à peu près ainsi que les Allemands avaient étudié la nation française et ils n’avaient pas aperçu ce que nul n’ignorait. Bismarck, puis Guillaume II ont plusieurs fois cherché à gagner l’amitié de la France. Ils l’ont cherché sans adresse, d’une main brutale, la douche froide alternant avec la douche chaude. Comme dans la chanson, ils semblaient toujours dire : « Si je t’aime, prend garde à toi. » Et puis, leurs avances avaient une arrière-pensée qui était d’enrôler la France au service de la politique allemande. Lorsque Bismarck favorisait nos entreprises coloniales, c’était avec le dessein de mettre en conflit la France et l’Italie, la France et L’Angleterre. La diplomatie française, et, mieux encore, la nation française, avec un instinct juste, perçait aisément ces calculs. La France restait polie et insensible. Alors l’Allemand dépité menaçait, justifiant notre réserve, provoquant lui-même nos précautions de légitime défense. Pendant quarante-quatre ans, l’Allemagne a commis erreur sur erreur dans ses rapports avec la France parce qu’elle tenait pour inexistante la question d’Alsace-Lorraine et la question de notre