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mouvements, ou plutôt ils sont rétractiles : il a un goût d’économie qui l’empêche de se donner. Stendhal gémit de la sottise de son temps, craint les espions à chaque pas, maudit la canaillerie des femmes, mais il sait trouver en tout lieu des raisons d’intérêt, d’indiscrétion et de passion, et, en fin de compte, il n’est d’endroit du monde où il ne s’amuse : car Beyle amuse Stendhal infiniment. Mérimée ennuie Mérimée.

Ce n’est pas un ennui tragique, un ennui littéraire à la Chateaubriand, rugissant à la Flaubert ou grinçant comme celui de Baudelaire, c’est un ennui qui se traîne et qui se tient bien, un ennui dont l’aigreur même ne va jamais jusqu’à la colère, un ennui qui montre cette sorte de patience et cette constante politesse que peut seule donner l’indifférence.

Cette indifférence croissante ajoute encore à sa première honnêteté. Parmi ce concours de pense-petit empressés à flatter l’Empereur et qui cherchent à s’assurer des places en le flagornant ou en l’attaquant, Mérimée sait rendre à César ce que lui offre César, et se contente de distraire, de son mieux, une impératrice qu’il voit toujours un peu comme au temps où, toute petite, il l’emmenait chez le pâtissier : elle lui rend à présent les gâteaux d’autrefois. De toute cette cour, il est peut-être le seul qui dise vraiment ce qu’il pense. On le voit aller et venir, de son allure toujours raide, dans ses vêtements très soignés, mais dont la mode légèrement attardée fait sourire un peu ces jeunes gens qu’il ne regarde pas, et dont les œuvres les meilleures lui ont paru, à tort, fort ridicules. On le voit aller et venir, ponctuel, d’un pas ferme, et sans hâte ; ceux qu’il croise ne l’aiment pas : ils savent qu’il les juge et ne s’en soucie guère, mais on l’estime pourtant et l’on envie son honnêteté, son sûr attachement à ses amis ; on sait qu’il a écrit, d’un style sec et juste, une demi-douzaine de contes qui dureront plus que bien des œuvres orgueilleuses. Les femmes, dont il a dit tant de mal,