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les autres. Il étouffe d’être gentleman, il s’aimerait assez voleur de grands chemins, un voleur avec des manières, cela va sans dire ; car il n’a pas de goût pour la force brutale et n’est aucunement militaire. Ce qui lui plaît, c’est cette violence composée que réclame l’apprêt des complots, et qui se rehausse, au besoin, de générosité ; son héros, comme pour plusieurs autres esprits de son temps, grandis entre les excès d’énergie des armées napoléoniennes et l’étiquette surannée de la cour des Bourbons, c’est le bandit homme du monde, qui conserve l’observance de la politesse dans le mépris des conventions ; pour lui, ce n’est ni Zampa, ni Fra Diavolo ; ce n’est point le bandit beau parleur, qui fait le boniment à l’entrée de la vallée qui ouvre sur la « liberté dans les montagnes », ou qui montre à tout venant la rondeur joviale de Don César de Bazan ; le sien est homme de parole, mais de peu de mots, sans familiarité ni rudesse ; il a la raideur souple de l’acier castillan, la galante hauteur de l’hidalgo.

On sent bien tout ce qui le portait vers l’Espagne ; il a bien pu imiter l’âme dalmate, comprendre l’Angleterre mieux qu’aucun homme de son temps, inaugurer la Corse, et, l’un des premiers, toucher à travers Gogol, Pouchkine ou Tourguénief, cette hybride fermentation russe : sa patrie de lettres, c’est l’Espagne. Dès avant son premier contact, il l’a comprise et aimée, et ses lettres d’Espagne de 1830 sont, encore aujourd’hui, pleines de vérité et de charme. Il a senti sans effort tout ce que L’Espagne a d’intense et de retenu ; cela s’accordait à son cœur : c’était la projection vivante de tout ce qu’il eût voulu et n’osait être.

Au contact de cette chaleur sa jeunesse assoupie se ranimait encore : le cadre de l’Espagne a hanté Mérimée dès axant qu’il y fit son premier voyage, dès son premier livre. Pendant les vingt ans de son œuvre d’imagination, il ne cessera d’y emprunter : ce sont tour à tour des études sur don Quichotte et Cervantès, la Famille de Carvajal et la Perle de Tolède, les Lettres d’Espagne et le Musée de Madrid, les Ames du Purgatoire, Carmen, et l’Histoire de don Pedro Ier, roi de Castille.

Quand le goût d’écrire sera éteint en lui, quand il n’en conservera plus que l’habitude, quand sa dernière ardeur