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pied, de don Juan et de Cléopâtre, ou peut-être plus simplement de la hase et du carpillon. Dès le matin suivant, la dame, quatre à quatre et tenant ses jupes, descendait l’escalier de Mérimée, emportant son papier, ses cigares, ses plumes et ses encriers ; à peine fut-elle chez elle, qu’elle écrivait à son « fournisseur » pour se plaindre de son envoi. Non, vraiment, cela ne faisait pas son affaire. Etait-il possible qu’on put se montrer disposé à la contenter sans y mettre au moins quelque extase ; les enthousiasmes les plus ardents s’échevelaient en écume sur un pareil iceberg ; les plus chauds débordements n’en aurait pas fondu la glace. George Sand ne put tenir devant cet œil inquisiteur que rien ne paraissait surprendre, devant cet homme dont les soins mesurés vous pouvaient dévoiler comme si vous eussiez été une inscription. Et pour tout dire enfin, elle ne demandait qu’à faire l’amour, même en public passe encore, puisqu’on le saurait par ses livres, mais pas sur une table d’opération.

Les bas bleus n’étaient pas le fait de Mérimée, il sut les tenir à distance plus encore que toutes les autres. Il s’entendait à décliner, non par absence de séduction ; si son visage n’en avait guère, son esprit avait bien des attraits et, même à deux doigts de la mort, il inspirait des sentiments. Il étalait volontiers un certain cynisme d’expression, un cynisme élégant qui n’est pas pour déplaire aux femmes, mais, si loin qu’il pût aller, ce n’était pas à l’aventure, il en était comme de ces audaces de vierges anglaises qui savent toujours où elles en sont.

Mérimée a toujours peur de perdre la tête, il sait fort bien que c’est surtout par là qu’il vaut.

Il fait le bravache, l’incrédule et le pervers en paroles, ou dans sa littérature ; on le croirait prêt à mettre en action l’impitoyable esprit des Liaisons dangereuses, mais il s’arrête au boudoir, tout au plus va-t-il jusqu’au seuil de la chambre à coucher. Il adore être avec les femmes, il peut malaisément se passer de leur compagnie, mais pour ce qui est de l’amour avec elles, il aime surtout en parler, et, tout naturellement, grison, on le voit encore secrétaire ponctuel, narquoisement galant, de la cour d’amour de Saint-Cloud.