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metteuse perverse et bonhomme, sorte de Madame Angot qui aurait les Liaisons Dangereuses pour livre de chevet ; dans Ines Mendo, avec la séduction tragique de Dona Séraphine, la conspiratrice de haut vol ; dans le Carrosse du Saint-Sacrement, sous les traits mutins, ensorceleurs et plaisamment cyniques de Camilla Périchole.

C’est sous ce dernier aspect qu’elle est la plus vraie et vivante. Il est même singulier que Mérimée, qui se complaisait au drame dans la manière noire des Espagnols, et qui, par quelque endroit, en imite assez bien la manière, ne garde aujourd’hui de mérite de son Théâtre de Clara Gazul que là où il s’est montré le plus léger et délicat ; dans ces scènes de l’Occasion, où il a dépeint avec une grâce extrême l’éveil du sentiment de l’amour, ses extases, ses transes, ses ressauts de tendresse et de colère, ses emportements et ses retours, dans le cœur de toutes jeunes filles encore au couvent, de même que dans tout le Carrosse du Saint-Sacrement.

L’atmosphère, dans l’Occasion, de ce cornent à la Havane, les ravages qu’y exerce Fray Eugénie le confesseur, les rivalités et les passions de ces petites filles espagnoles, leurs pudeurs et leurs audaces sont évoquées avec une délicatesse de touche et un agrément qui peut faire placer la petite Maria de Mérimée entre la Marianne, de Marivaux, et la Clara d’Ellébeuse, de M. Francis Jammes. Pour le Carrosse, c’est un pur chef-d’œuvre, et, par une de ironies dont l’histoire littéraire offre plus d’un exemple, ce jeune auteur de drames n’aura vraiment réussi que dans une comédie, la plus preste et la plus légère qui soit. Il y a réussi au point qu’on se prend à regretter qu’il n’ait pas davantage tenté cette aventure, car, entre les sombres rochers factices de son œuvre dramatique et les stériles pierres de ses documents historiques, cette « saynète » a poussé comme une fleur charmante, inattendue et solitaire.

Le Carrosse du Saint-Sacrement relie les Jeux de l’Amour et du Hasard à Il ne faut jurer de rien ; tout y est mené comme en se jouant. tour à tour rênes hautes et brides sur le cou : le secret du bonheur avec lequel Mérimée l’a conduit, c’est qu’il a osé laisser jouer cet esprit qu’il avait prompt