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bles ; les plus certains, à coup sûr. Le nombre de ses amis n’est pas vaste, mais ils sont de la sorte la plus honorable, et d’un commerce avantageux ; Victor Jacquemont ou Henry Beyle, Jean-Jacques Ampère ou Panizzi, ou Tourguénief.

Il impose à tous le respect, même à ceux qui ne l’aiment guère, et qu’il ne ménage pas ; on lui sait gré même d’être sincère, parce qu’aucune envie ne le guide, l’espérance d’aucun échange. Il vous donne ce qui lui plaît, sans attendre ou demander rien ; il sait vous rendre des services, grands ou petits, et les rendre avec discrétion. S’il est parfois d’humeur chagrine, et plus encore avec soi qu’avec les autres, c’est qu’il se juge avec la même netteté et sait tout ce dont sont capables les autres aussi bien que lui-même. Son extrême absence d’enthousiasme et d’illusions donne à son commerce une grande égalité qui eût été assez terne si les ressources et les grâces de son savoir n’étaient venues la relever. D’ailleurs, si pauvre que soit son idée des hommes, il ne va pas jusqu’à les haïr ; il trouve un plaisir pervers à mesurer ce dont ils manquent. et sachant d’avance à quoi il s’expose ainsi, il se résigne à ne leur demander que de distraire son ennui. Pourquoi aurait-il fui les hommes ? Il aimait la retraite, comme toutes choses, avec modération.

Extérieur, manières, Langage, esprit, savoir et sentiments, il est de toutes parts honnête homme : pas tout-à-fait au sens ancien. Victor Cousin qui le fréquenta, mais qui était de ces philosophes dont Pascal a dit qu’ils ne voient justement pas ce qui est devant eux, a déclare que Mérimée était un gentilhomme. C’est bien précisément ce qu’il n’est pas, ce qui lui manque, ce à quoi il ne peut atteindre pour faire grande ou touchante figure, et forcer plus que notre estime.

Il est, non pas gentilhomme, mais « gentleman ». Ce n’est pas défaut de naissance, certains qui n’en eurent pas plus ont su à ce point s’ennoblir. On n’est gentilhomme qu’autant que l’on ajoute à une distinction de naissance ou d’esprit, celle de tenir ferme à quelque croyance, et qu’autant qu’on se sent prépare à tout y rendre, même la vie : fût-ce, croisé, pour le rachat d’un sépulcre, ou, si