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d’aisance à demi-compassée qu’on voit aux secrétaires d’ambassade, après qu’ils ont jeté dans les salons, avec leurs premiers feux, leurs premières maladresses. Il aurait pu, sans ridicule, endosser l’uniforme ; il portera sans effort et sans y croire, l’habit de sénateur ou d’académicien ; il eût porté tout aussi bien celui de ministre, s’il eût assez aimé ou méprisé les hommes pour souhaiter de les conduire.

L’élégance de son esprit est du même ordre. Elle est son objet quotidien, et faite de solide étoffe ; elle ne doit rien à l’ambition, non plus qu’au souci de briller. Si la vivacité de son œil ou quelque aigreur de sa nature ont pu rendre souvent Mérimée spirituel et lui valoir plus d’un succès, il s’en est distrait un moment, plus qu’il ne s’en est réjoui, et toute sa vie s’est nourrie du goût d’apprendre pour soi-même. Il a su le latin, le grec ancien, le grec moderne, l’anglais, le russe et l’espagnol, sans que vînt l’y contraindre aucune autre obligation que celle de sa curiosité.

Il veut tout savoir de ce qu’il sait, et ne voit pas d’inconvénient à tout ignorer de ce qu’il ignore ; s’il dissimule, c’est plutôt l’étendue de son savoir que celle de ses ignorances ; c’est assez peu la disposition du plus grand nombre, en un temps où chaque instituteur commençait à se croire plus savant qu’Aristote, et où tant de petits esprits se mettaient à répandre, obligatoirement, cette moitié de rien qui compose leur connaissance.

Si pourvu que soit son esprit, si raffinée qu’en soit l’élégance, il y met la même discrétion qu’à sa mise. Ce n’est pas lui que l’on verra faire étalage de ses dons, ou, le dos à la cheminée, se donner des airs de bellâtre ou des façons de beau parleur : il s’entretient d’un ton discret dans une embrasure de porte, dans un des coins du salon, d’où, de temps à autre, il décoche, haussant ou baissant la mire et le ton, une pointe prompte et acide. Ce ne sont qu’autant de flèches qu’il en faut pour protéger sa retraite.

Gardant toujours froide sa tête, il a autant de présence d’esprit dans ses relations que dans ses traits ; il n’a connu de déceptions que dans la mesure où il a pu parfois souhaiter un peu plus que de l’amitié ; mais il aura, de celle-ci, senti presque tous les aspects, peut-être pas les plus aima-