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J’ai compris nos destins par ces ombres mobiles
Qui se peignaient en noir sur de vives couleurs.
Ces feux de ta pensée étaient les lueurs pures,
Ces ombres, du passé les magiques figures,
J’ai tressailli de joie en voyant nos grandeurs.
Il est donc vrai que l’homme est monté par lui-même
Jusqu’aux sommets glacés de sa vaste raison,
Qu’il y peut vivre en paix sans plainte et sans blasphème,
Et mesurer le monde et sonder l’horizon.
Il sait que l’univers l’écrase et le dévore ;
Plus grand que l’univers qu’il juge et qui l’ignore,
Le Berger a lui-même éclairé sa maison.[1]


Et voici le fragment de prose et de vers, très probablement, contemporain, un peu antérieur peut-être, parce qu’il reprend le premier vers de la première strophe, ébauche ceux qui devaient suivre, et donne le canevas du poème entier. Ce texte[2] est écrit sur un feuillet de 21 cm. sur 13 ; il comprend vingt lignes au recto, vingt-quatre au verso ; il est tracé, d’une plume très fine, à l’encre bleue, sauf les dernières lignes, qui sont à l’encre noire et d’une plume différente.

Vers détachés de la Réponse d’Éva (août 1843) :

[Ta voix m’a fait comprendre…] [Le vrai sens de la vie est devant moi]. Le rideau s’est levé devant mes yeux débiles.

[J’ai compris l’existence et mon cœur a frémi.]
J’ai tressailli de joie en voyant nos grandeurs.

Ah ! Que devant tout homme que [suivra sa pensée] dont l’âme vaudra les âmes que tu loues et qui ressemblera à ceux que tu me montres, que devant tout homme pareil la femme soumise s’agenouille et s’incline en versant ses trésors[3] comme la belle reine aux pieds de Salomon.

Jésus, notre seigneur, fils de l’homme, a pris sur lui, mais en vain, de demander la lumière et la certitude à Dieu. Si Dieu [la lui] l’a refusée à celui qui nous représente par ses souffrances et sa croix ;

[C’est que] notre devoir est de [gémir] nous résigner au doute, mais de nous tendre la main mutuellement dans notre prison et notre exil. Que les hommes se rapprochent donc, et [que notre] qu’ils laissent à jamais le soin inutile des philosophies et renoncent à pénétrer un ciel toujours voilé.

Que le travail joyeux nous passionne et nous emporte. Le monde est encore à conquérir sur la Barbarie.

  1. Nous avons publié déjà les sept premiers vers dans La Pensée politique et sociale d’Alfred de Vigny, p. 235., et les sept premiers dans Alfred de Vigny, p. 219.
  2. Nous en avons publié quelques lignes dans La Pensée politique… p. 235-236.
  3. Souligné dans le texte.