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« LA RÉPONSE D’ÉVA » D’ALFRED DE VIGNY.


Le 15 juillet 1844, la Revue des Deux Mondes publiait La Maison du Berger, poème, avec ce sous-titre Lettre à Éva. Vingt ans plus tard, Vigny écrivait sous le titre de L’Esprit Pur la même mention : À Éva. L’Esprit Pur était donc une deuxième lettre adressée à une mystérieuse correspondante, ou à un mystérieux symbole.

Quel symbole ? Si Éva avait parlé, nous le devinerions peut-être.

Or, les Inédits vont contribuer à combler cette lacune. Dans les Carnets de Ratisbonne où, tour à tour, M. Dorison et M. Baldensperger ont si heureusement puisé, on découvre quelques mentions de l’énigmatique Éva. Ce sont : en 1845, une Prière sur le rythme d’Éva, et L’Âge d’or de l’Avenir, poème, réponse d’Éva ; en 1851, les Mâles Douleurs, pour la réponse d’Éva[1].

Le poète avait donc eu, pendant plusieurs années, l’intention de transformer le monologue de la Maison du Berger en un dialogue philosophique. Rien d’étonnant chez un familier des dialogues grecs, qui avait attentivement relu Platon pour Daphné[2], vers 1837. Dialogue, au surplus, où les deux interlocuteurs devaient se répondre avec une dignité égale et pouvaient confondre à la fin leur voix dans le même hymne.

Un autre fonds de manuscrits nous apportera plus de lumière. Il existe, d’une part, un fragment, non daté, composé de quatorze vers, et, d’autre part, un fragment de prose, et de vers mêlés, tous deux relatifs à la Réponse d’Éva, ils vont nous permettre de figurer le visage d’Éva, comme un buste mutilé suffit à évoquer une statue.

Les vers comprennent deux strophes « sur le rythme d’Éva[3] », c’est-à-dire de sept alexandrins aux rimes entrelacées :  ; nous nous permettons de les rappeler ici :


Le rideau s’est levé devant mes yeux débiles,
La lumière s’est faite et j’ai vu ses splendeurs ;

  1. Cité par F. Baldensperger dans son édition des Poèmes, Notes et Éclaircissements, p. 374
  2. Daphné, p. 202, p. 209.
  3. À cette date, Vigny n’a écrit dans ce rythme que la Maison du Berger il écrira plus tard Wanda, La Bouteille à la Mer, Les Oracles et L’Esprit Pur.