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L’heure fatale approche où ton cœur va maudire
Ton Ève, ton destin, ton Maître, et le délire
Qui, pour Lui, dicte tes concerts !

Ah ! de plus près que toi j’ai contemplé son trône ;
Nul éclat n’effaçait l’éclat de la couronne
Dont m’a dépouillé son courroux ;
Homme, que son amour fit sortir de la fange,
Tremble ! tu tomberas comme est tombé l’Archange
Que l’on adorait à genoux !

Tu te promets en vain d’éternelles années ;
Tu ne couleras point tes heures fortunées
Dans les bosquets riants d’Éden ;
Tu n’auras qu’entrevu cette joie éphémère :
Bientôt ton cœur flétri n’aura plus de prière
Pour l’Arbitre de ton destin.

Qu’importent mes revers et ma triple défaite ?
Tes jours de désespoir seront mes jours de fête ;
Bientôt, infidèle à sa loi,
Tu plaideras l’instant où, de ton Dieu victime,
Renversé par la foudre et tombant dans l’abîme,
Je t’y fis rouler avec moi !

Que de fois, à l’aspect de ta gloire passée,
Tu voudras effacer le jour où sa pensée
Te tira du sein du Chaos ;
Mais en vain : fléchissant sous ta longue infortune,
Tu te fatigueras d’une plainte importune
Pour qu’il te rende à ton repos.

Ô céleste palais, glorieux héritage !
Vastes champs de l’Éther, témoins de mon courage
Ainsi que de mon châtiment !
Du tyran fortuné qui m’a ravi ma gloire,
Je troublerai bientôt l’odieuse victoire !
Écoutez mon dernier serment :

Favori du Seigneur, Adam, ta bouche impure
Dévorera bientôt l’amère nourriture
Qui ravit l’immortalité ;
Dès lors tu transmettras la peine héréditaire
À tes fils condamnés, qui maudiront leur père
Et sa folle crédulité.

Un vertige éternel pèsera sur ta race !
Sur le globe où tu vis il n’est pas une place
Où ne doive couler le sang.