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Enfin, le droit naturel régit ; principalement les actes extérieurs de l’homme, sans guère s’immiscer dans le for intérieur ; au lieu que la théologie travaille à régler même et surtout « le cœur, à faire en sorte que tous ses mouvements soient « exactement conformes à la volonté de Dieu[1] ». Leibniz qui considérait Puffendorf comme « peu jurisconsulte et pas du tout philosophe » critiqua vivement certains points de cette comparaison, mais sans nier l’autonomie de la science du Droit naturel[2]. Avec la constitution de celle-ci, une morale sociale indépendante-de toute théologie devenait donc possible ; avec Grotius la morale sociale s’était émancipée et laïcisée de même qu’avec Bacon et Descartes la morale individuelle.

II. Supériorité du droit naturel sur la législation humaine. Son universalité, son immuabilité. Son objet individualiste. — Quesnay et ses disciples, en rattachant les règles de conduite des sociétés à la notion de droit naturel continuaient donc une tradition bien établie. Depuis Socrate, il y avait unanimité d’opinion sur les points suivants[3] : 1o la loi naturelle étant d’origine divine est supérieure à la loi humaine ; en cas de conflit entre l’une et l’autre, l’homme de bien doit obéir à la première malgré toutes les pénalités auxquelles l’expose la violation de la seconde ; 2o la loi naturelle est universelle, la même pour tous les hommes de tous les pays ; 3o elle est immuable, la même dans tous les temps. Cicéron avait mis en relief ces caractères du droit naturel dans un passage fréquemment cité et reproduit notamment, avec beaucoup d’éloges, par l’organe officiel des Physiocrates, les Éphémérides[4]. « La vraie loi, dit-il, c’est la Raison droite, conforme à la nature, commune à tous les hommes, immuable, éternelle, qui par ses ordres nous incite à l’exécution de nos devoirs et par ses prohibitions nous détourne de les violer. Et ce n’est pas en vain que par ses ordres et ses prohibitions elle contraint les

  1. Puffendorf, Les devoirs de l’homme et du citoyen, Préface ; traduct. Barbeyrac. édit. Paris, 1822, t. I, p. xx et s.
  2. Leibniz, Monita quœdam ad S. Puffendorfii principal. (Leibnitii Opera, édit. Dutens, 1768, t. IV, Pars III, p. 275 et s.).
  3. V. les références citées supra p. 3, notes 1, 2 et 3 ; p. 4, notes 1 et 2 ; p. 5, note 1 ; Adde les notions générales développées en tête de presque tous les ouvrages de droit naturel.
  4. Éphémérides du Citoyen, année 1767, t. I, p. 140-142.