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Et cela pourquoi ? Et ici, nous nous attaquons à la fois au projet de M. Beauregard et à celui de M. le Ministre ? En quoi donc le besoin d’un doctorat économique se fait-il sentir ? À quelle carrière préparera-t-il ? M. le Ministre nous répond : « Il ne préparera pas de nouveaux bataillons d’aspirants fonctionnaires, parce qu’il orientera les jeunes gens vers les carrières actives ». — À merveille ! Mais en quoi les jeunes gens qui se proposent d’entrer dans l’industrie ou dans le commerce ont-ils besoin du titre de docteur ? Un grade, un diplôme sont destinés à attester la capacité d’un individu qui veut exercer certaines professions qui ne peuvent être ouvertes qu’à ceux qui présentent certaines garanties. On a raison d’exiger que celui qui veut exercer la médecine prouve qu’il a étudié la médecine et que celui qui veut être magistrat prouve qu’il a étudié le droit ; on ne peut connaître leur capacité que par l’examen. Mais les carrières industrielles et commerciales s’ouvrent d’elles-mêmes à qui veut y entrer, parce que chacun agit là à ses risques et périls sans que l’intérêt social soit en jeu. D’ailleurs, les jeunes gens qui veulent entrer dans ces carrières ont toute faculté d’étudier les matières économiques, dont nous sommes loin de contester l’utilité pour eux, et si toutes les portes ne leur sont pas ouvertes, rien de plus facile que de les ouvrir ! Mais pourquoi le grade de docteur ? Est-ce uniquement pour flatter leur amour-propre et pour leur permettre de mettre un titre sur leurs cartes de visite ? En vérité, est-ce que la passion des titres et des grades n’est pas encore assez développée chez nous ? Est-ce uniquement pour échapper au service militaire ? Mais cette mauvaise raison ne peut même pas être alléguée, puisque, les Facultés de droit mises à part, on n’ouvrirait ce nouveau doctorat qu’aux licenciés ès-sciences et ès-lettres, qui sont déjà dispensés par leur grade ! Et pourquoi, au fait, aux seuls licenciés ès-sciences et ès-lettres ? Est-ce que le baccalauréat moderne ne serait pas une préparation aussi naturelle au doctorat économique que la licence de grammaire ou de langues étrangères, ou bien que le calcul infinitésimal ? Et les écoles d’agriculture ? Etc., etc.

En vérité, plus nous réfléchissons, moins nous parvenons à comprendre le sens et la portée des innovations qu’on prépare et nous espérons encore que les pouvoirs publics y regarderont à deux fois avant d’apporter dans notre haut enseignement un bouleversement nouveau que rien ne justifie et qui pourrait produire de funestes résultats.

Edmond Villey.