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EN FRANCE

qu’au lieu de porter le nom de La verrerie aux verriers elle prit le nom significatif de La verrerie ouvrière.

Et malgré les dissidences d’un certain nombre de socialistes, ainsi fut fait. Quant aux ouvriers verriers eux-mêmes, comme ils n’avaient point apporté d’argent et qu’ils ne pouvaient point en apporter, ils étaient bien obligés d’en passer par ce qu’on voudrait. On organisa une gigantesque émission de billets à 25 centimes sous le nom de tombola, destinée à former un capital de 500,000 fr. Il ne fut pas tout réuni, mais la plus grande partie cependant fut souscrite par des syndicats ouvriers et associations coopératives (de production ou de consommation). Les individus qui avaient pris des billets devaient les transférer à quelque association ouvrière, car celles-ci seules pouvaient être actionnaires à l’exclusion de tout actionnaire individuel. Naturellement aussi ce sont ces collectivités qui gouvernent la verrerie et qui recueillent les bénéfices ; il est seulement décidé par les statuts que ces bénéfices ne pourront être employés par aucune des collectivités actionnaires à son profit mais seulement « à quelque œuvre d’intérêt social », à déterminer ultérieurement par le conseil d’administration. En fait, la question de cet emploi ne s’est pas encore posée, aucun bénéfice n’ayant été réalisé jusqu’à ce jour.

Et les ouvriers de la verrerie n’auront-ils donc aucune part ni à la direction, ni aux bénéfices ? On leur a fait cette concession de leur réserver 1/3 des places dans le conseil d’administration et 40 p. 100 sur les bénéfices, mais sous cette condition expresse que ces 40 p. 100 ne seront point partagés entre les ouvriers individuellement, mais versés dans une caisse de réserve et de prévoyance.

Telle est cette création bizarre et qui, comme nous l’avons déjà dit, doit être qualifiée plutôt d’expérimentation collectiviste que d’expérimentation coopérative. Toutefois nous devions en parler ici comme d’une sorte de déviation du type coopératif. On pensait généralement que cet être hybride ne serait pas viable, et en effet pendant plusieurs années la verrerie (qui de Carmaux avait été transférée dans la ville voisine, mais plus importante, d’Albi, pour des motifs qu’il est inutile d’exposer ici) fut sur le bord de la faillite. Toutefois elle a réussi à surmonter ces difficultés, d’abord grâce à l’énergie et à la foi des ouvriers qui en avaient pris l’initiative et qui, plutôt que d’y renoncer, ont accepté de vivre de longs mois