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LES ASSOCIATIONS COOPÉRATIVES DE PRODUCTION

qu’on a soin de ne pas remplacer ceux qui sont morts ou se sont retirés. En sorte que le type primitif de la république coopérative est devenu, par une déviation monstrueuse, une oligarchie où un petit groupe d’associés gouverne une masse de salariés. L’exemple le plus caractéristique et le plus souvent cité de cette perversion de l’association coopérative est celui de « l’association de lunetiers de Paris ». Elle se compose aujourd’hui d’une cinquantaine d’associés devenus riches, plus un nombre à peu près égal de candidats sociétaires sous le nom d’adhérents, et 1.200 ouvriers salariés[1]. Dans ces conditions, il est clair qu’il n’y a plus ici de coopération que le nom : ce sont tout simplement des associations de petits patrons.

C’est pour éviter de semblables abus que le législateur, dans un projet de loi qui a été déposé devant le Parlement[2] a voulu imposer à toute association coopérative de production l’obligation de répartir au moins 50 p. 100 de ses bénéfices entre tous les ouvriers qu’elle emploie. Cette participation obligatoire serait un peu excessive et pourrait même créer de graves difficultés pour la constitution de certaines associations coopératives[3], mais ce n’est pas le lieu de la discuter, je ne l’ai indiquée que comme symptomatique de la grave et fâcheuse tendance qui l’a provoquée,

§ 2. Association corporative.

Ici la tendance est moins individualiste et plus collectiviste. L’association est conçue et organisée non pas au profit des seuls associés mais de tous les ouvriers d’un même corps de métiers ou du moins de tous les ouvriers faisant partie du même syndicat ou d’une fédération de syndicats. Mais comme en pratique il serait

  1. Et même la proportion entre les associés et les salariés était encore plus scandaleuse il y a quelques années. Mais pour donner quelque satisfaction aux protestations, elle a un peu élargi ses cadres.
  2. L’histoire de ce projet de loi qui est destiné à régir toutes les formes de la coopération est instructive et divertissante. Proposé il y a déjà douze ans, ayant déjà fait l’objet de cinq ou six discussions devant la Chambre ou devant le Sénat, et même deux fois voté déjà par la Chambre des députés, il n’a pu encore aboutir, et probablement même ne sera jamais voté, par suite de l’opposition furieuse que font les marchands. Le gouvernement et les membres du Parlement n’osent pas soutenir le projet de loi de crainte de mécontenter les marchands dont l’influence électorale est considérable.
  3. Notamment si on l’applique aux associations de consommation et aux boulangeries coopératives.