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EN FRANCE

caractère expérimental isolé et presque artificiel. Elle fut l’œuvre d’un homme bizarre, Buchez, dont l’esprit était singulièrement partagé entre la doctrine de Saint-Simon et celle de l’Église romaine catholique, et qui donna à cette première association la forme et les caractères d’une sorte de monastère laïque. Cependant son idée essentielle, c’est-à-dire le renoncement à tout partage de bénéfices entre les membres et l’affectation de tous ces bénéfices à la constitution d’un capital social inaliénable et perpétuel, devait lui survivre, et on la retrouve encore, sous des formes un peu différentes, dans les associations socialistes qui prétendent sacrifier complètement les intérêts individuels à l’intérêt social.

C’est seulement la révolution de 1848 qui marque vraiment la date de naissance du mouvement coopératif en France. À ce moment il y eut une véritable explosion coopérative sous la forme de 200 associations de production qui se fondèrent presque simultanément, surtout à Paris, mais aussi dans les grandes villes de province, et toutes avec ce même programme, inspirés par les enseignements philosophiques de Pierre Leroux et les ardentes harangues de Louis Blanc[1], l’abolition du salariat. L’association de production apparaissait ainsi à la même heure que le suffrage universel (on sait que celui-ci aussi date en France de 1848), comme son complément naturel : l’une réalisait dans l’ordre économique ce que l’autre réalisait dans l’ordre politique, l’émancipation du peuple. Et sa souveraineté s’affirmait à la fois au Forum et dans l’atelier.

On sait aussi comment ce grand mouvement eut peu de durée, un vrai feu d’artifice, car, dès 1852, le plus grand nombre de ces associations avaient disparu, non point toutes cependant, comme on le répète assez souvent, puisqu’aujourd’hui encore il en subsiste quatre qui datent de cette époque et qui par conséquent ont déjà pu célébrer leurs noces d’or[2]. Cet échec retentissant n’a pas peu con-

  1. On oublie généralement la part prise par Louis Blanc dans le mouvement coopératif de 1848. Il ne s’est pas borné à faire des discours, mais a organisé lui-même plusieurs associations de production, notamment celle des ouvriers tailleurs qui, il est vrai, n’eut que peu de durée. Seulement, il ne croyait pas à la possibilité d’opérer une transformation sociale par l’association libre exclusivement et il croyait à la nécessité du concours de l’État. Ses idées, sur ce point, n’étaient pas très différentes de celles qui furent prêchées plus tard par Lassalle.
    Et par contre, on impute toujours à Louis Blanc la création néfaste des Ateliers nationaux contre laquelle pourtant il a toujours protesté.
  2. L’association des ouvriers tailleurs de limes, celle des ouvriers lunetiers, celle des ouvriers fabricants de pianos, et une en province, dans l’Indre-et-Loire, l’associa-