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naie ne fut d’ailleurs pas une simple friponnerie, comme on l’a si souvent pensé ; elle reposait, au contraire, sur une théorie précise, qu’il a complètement expliquée. Malheureusement, la théorie est erronée de tous points, et il est très facile de montrer que le résultat était inéluctable.

Ses idées sont si loin d’être mortes et disparues qu’elles ont encore aujourd’hui de nombreux partisans. La Banque d’Angleterre repose en partie sur son système. Les quinze millions de billets que la Banque est autorisée à émettre contre des valeurs publiques est un échantillon de pur « Lawism. » Les premières augmentations de la dette nationale ont toutes eu pour sources des prêts de la Banque, qui a été chaque fois autorisée à accroître dans la même mesure son émission de billets. Si l’on avait persisté dans ce principe jusqu’à notre époque, nous aurions une dette nationale de huit cent millions, et aussi huit cent millions de billets, ce qui, j’ai à peine besoin de le dire, nous aurait conduits à un désastre égal à celui de l’entreprise du Mississipi.

Un grand nombre de banquiers éminents sont encore partisans de l’émission de billets garantis par des valeurs publiques. Ce sont de vrais disciples de Law. On en a fait l’essai sur une large échelle en Amérique en 1837, 1838, 1839, et le résultat a été que, en 1839, toutes les banques américaines ont cessé leurs paiements. La vérité est que l’émission de billets gagés sur la terre et l’émission gagée sur des valeurs publiques sont identiques dans leur principe ; et que, pour peu qu’on les pousse assez loin, elles conduisent aux mêmes résultats.

Reprenons toutefois la suite de nos idées. La catastrophe du Mississipi fut la première cause qui appela l’attention de Turgot, alors tout jeune, sur l’économie politique ; mais ce ne fut pas, à beaucoup près, la seule circonstance. Il est à peine possible de se représenter, d’après le tableau qu’en ont tracé les écrivains contemporains, la misère des Français, conséquence des guerres de Louis XIV, de la charge écrasante des impôts et des privilèges féodaux. Chaque province constituait une juridiction distincte, défendue par une ceinture de douanes, de telle sorte qu’il n’y avait nulle liberté de commerce intérieur ; toute industrie, dans ses opérations les plus insignifiantes, était réglementée par la loi ; et, à la plus légère infraction, les inspecteurs du gouvernement supprimaient l’établissement. La majeure partie de la nation était