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« exactement, par une négation des conclusions socialistes[1]. » Nous pourrions, comme tout à l’heure pour le mot facteur, proposer une correction qui consisterait à substituer aux éléments de la production ceux qui les ont fournis, et dire que le produit se partagera entre le propriétaire de la terre, le capitaliste et le travailleur. On ne se contentera pas de cet artifice de langage ; on répondra que les deux premiers copartageants n’ont droit à rien, puisqu’ils n’ont rien fourni : ne vient-on pas, en effet, de poser en principe l’improductivité de la terre et du capital ? on pourrait répliquer que le travail seul, sans terre et sans capital, ne produit pas non plus grand chose ; mais laissons là toute cette logomachie et allons au fond de cette critique à outrance adressée à la formule de la répartition. Non-seulement cette critique n’est pas fondée, mais encore elle est dangereuse, car elle dévoile un procédé compromettant pour la science. Il importe d’analyser et de caractériser ce procédé.

M. Courcelle-Seneuil signale, dans l’ouvrage dont il rend compte, diverses expressions qui lui paraissent bizarres, et enfin : « Que dire des déshérités mentionnés à la page précédente ? En quoi consiste l’héritage dont ces déshérités n’ont pas eu leur part légitime ?… Quand on veut réfuter les socialistes, il ne faut pas parler leur langue, si l’on tient à conserver quelque autorité[2]. » C’est fort bien dit ; mais mon savant contradicteur n’a-t-il pas lui-même quelque peu encouru ce reproche en proclamant l’improductivité du capital, en reconnaissant que les socialistes ont raison d’affirmer que le travail produit seul toutes choses et que le travailleur ne reçoit pas la totalité du produit ? Oh ! je sais bien ce qu’on répondra ; on répondra que c’est là une manœuvre habile autant que loyale pour faire tomber les armes des mains des socialistes. Les socialistes disaient : Tout pour le travailleur ! Eh bien ! nous sommes d’accord avec vous ; mais le propriétaire et le capitaliste qui ont créé et conservé le capital, sont aussi des travailleurs ; ils doivent venir au partage, et les travailleurs auront ainsi la totalité du produit.

C’est le procédé dont a usé Bastiat. On se récriait sur l’iniquité de la rente foncière perçue par un propriétaire qui n’avait rien

  1. M. Courcelle-Seneuil, Journal des économistes d’août 1885, page 303.
  2. M. Courcelle-Seneuil, id.