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gent, en promettant de payer plus tard, c’est-à-dire en créant un droit d’action contre lui-même. Les marchandises deviennent immédiatement sa propriété, comme s’il avait payé en argent, par le fait. Le droit d’action qu’il crée est le prix dont il les paie ; et ce droit d’action est appelé créance (en anglais, credit), parce que ce n’est point un droit réel sur une certaine quantité de numéraire spécialisée, mais un droit contre la personne du marchand, pour lui réclamer ultérieurement une somme.

Le crédit d’un marchand a donc une valeur échangeable, exactement comme de l’argent. Quand ce marchand achète des biens avec son crédit au lieu d’argent, son crédit s’évalue en argent, comme son travail pourrait l’être : dès lors, d’après la définition d’Aristote, c’est une richesse.

Aussi Démosthène dit-il : « Δυοῖν ἀγαθοῖν ὄντοιν πλούτου τε καὶ τοῦ πρὸς ἅπαντας πιστεύεσθαι, μεῖζόν ἐστι τὸ τῆς πίστεως ὐπαρχον ἠμιν. » Deux sortes de biens existant, l’argent et le crédit, notre principal bien est le crédit.

Et encore : « Εἰ δὲ τοῦτο ἀγνοεῖς ὅτι πίστις ἀφορμὴ τῶν πασῶν ἐστὶ μεγίστη πρὸς χρηματισμὸν, πᾶν ἂν ἀγνοήσειας. » Si vous ne saviez pas ceci, que le crédit est le plus grand de tous les capitaux pour acheter ce dont on a besoin, vous ignoreriez tout.

Démosthène présente ainsi le crédit personnel comme constituant un bien (ἀγαθὰ) et un capital (ἀφορμὴ).

Ainsi le crédit, comme le travail, ne peut être ni vu, ni touché, mais il peut être acheté, vendu, échangé ; la valeur peut en être appréciée en argent : c’est donc une richesse.

Il est ainsi nettement établi que les facultés personnelles, soit sous la forme de travail de tout genre, soit sous la forme du crédit dont peuvent jouir nos banquiers, marchands et trafiquants de tous genres, constituent une richesse nationale, et il s’ensuit que le crédit de l’État lui-même est aussi une richesse nationale.

Il est encore un autre ordre de choses qui sont susceptibles d’être achetées, vendues, échangées, dont la valeur peut s’apprécier en argent, et qui, dès lors, sont des richesses, par définition. Et c’est sur cet ordre de choses que je voudrais spécialement appeler l’attention de mes lecteurs, parce que ce sont elles qui ont été le sujet des principales erreurs des économistes modernes, et que c’est à propos d’elles que se posent les problèmes les plus importants de la science économique moderne.