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REVUE CRITIQUE

d’après laquelle le poète se serait laissé, dans cette accusation, guider par des motifs indignes de lui. »

Le chapitre II (p. 31-74) est consacré aux ouvrages italiens de Brunetto. Il contient peu de choses nouvelles, mais les opinions émises jusqu’à présent y sont rassemblées et judicieusement discutées. Sur ce qui concerne le Tesoretto, M. S. nous semble avoir raison de rapporter à Alphonse de Castille le Savant plutôt qu’à saint Louis les éloges et la dédicace du poète ; il a certainement raison de ne pas voir dans le Tesoretto une imitation du Tresaur de Peire de Corbiac ; mais l’argument qu’il emploie pour prouver que le poème provençal a été écrit après la mort de saint Louis repose sur une méprise [1]. Pour ce qui concerne le Patafjio, M. S. se borne à peu près à reproduire l’argumentation de Del Furia, qui est en effet parfaitement suffisante pour démontrer que Brunetto n’a jamais écrit cette extravagante obscénité[2]. Il est regrettable que V. Le Clerc ait persisté, pour pouvoir attribuer à nos Fatrasies une influence sur le maître de Dante, à faire de Brunetto l’auteur du Pataffio (Hist. litt., t. XXIII, p. 505, 507). M. S. montre qu’on s’est bien à tort appuyé pour maintenir cette attribution sur un passage du De vulgari Eloquentia de Dante, — dont l’explication, soit dit en passant, a été donnée d’une façon tout à fait satisfaisante dans la dissertation de M. Bœhmer (voy. Rev. crit., 1869, t. II, art. 233).

Le chap. III (p. 7 J-206) est le plus intéressant et le plus neuf. Il est intitulé Li Livres dou Trésor et est consacré au travail qui incombait légitimement à l’éditeur du Trésor, c’est-à-dire à la recherche des sources de Brunetto. M. S. démontre qu’il n’y a rien d’exagéré dans le titre donné à cet ouvrage par la plupart des manuscrits : Li Trésors lequel translata maistre Brunet Latin de latin en françois. L’ouvrage de Brunetto n’est pas même, comme on l’a cru, une mosaïque de citations empruntées à divers auteurs ; ce n’est presque partout qu’une version française d’ouvrages latins ou de compilations latines. Voici le résultat sommaire des recherches de M. Sundby : Livre I, 1re partie, chap. ii-xviii. Cosmologie et Théologie, emprunté, à l’exception de quelques additions de peu d’étendue, à Isidore de Séville (Sententiae I, 6-13 et 20, Origines V, I et XI, t). 1re p., ch. xix-lxii et IIe p. La source immédiate de cette partie, qui comprend l’histoire universelle, n’a pas été découverte par M. S. ; mais il n’en maintient pas moins, avec toute vraisemblance, que cette esquisse historique, d’ailleurs fort imparfaite,

n’est pas due à Brunetto lui-même, mais à un auteur latin antérieur (peut-être

  1. Le roi Lodoic dont parle Peire de Corbiac est le Louis de la chanson de geste de Gormond et Isembart et non saint Louis ; il y est dit que s’aucis enferens, et en effet ce poème racontait que Louis était mort d’une rupture intérieure pour avoir frappé de trop grands coups à la bataille. L’ordre des vers n’est pas d’ailleurs celui que donne M. S. d’après la mauvaise édition du Tresaur faite par M. Sachs ; voyez la bonne leçon de tout ce passage dans Bartsch, Chrestomathie provençale, 210-211.
  2. Une des preuves laisse à désirer. L’auteur du Pataffio nomme Monna Belcolore, et il est bien possible que ce soit là une allusion à la 2e nouvelle de la huitième journée du Décaméron ; mais il ne faudrait plus répéter les inventions de Manni, qui prétend constater l’existence réelle de tous les personnages du Décaméron ; le conte de Boccace se retrouve dans l’ancien fabliau du Prêtre et de la Dame, et déjà dans des textes latins antérieurs (cf. Landau, Die Quellen des Decameron, p. 46).