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SCÈNE V

PERETTE, ' triste ; 'Un AMBASSADEUR ; UN PETIT MAÎTRE ;
'ARLEQUIN, ' sa tête hors du tonneau,
Le petit maître cause à part avec Perette.


L’AMBASSADEUR

Seigneur, une heureuse fortune
Vous avait fait empereur dans la Lune.
Du choix du sort votre empire flatté
Se promettait un règne mémorable,
Règne d’un sage et de la vérité.
Mais le destin, d’abord si favorable,
Ravit bientôt à vos sujets épris
Le siècle d’or que l’on s’était promis.
Un deuil profond couvrit toute la Lune.
Depuis ce temps la détresse commune
Vous redemande à la pitié des cieux.
Nos députés parcourent les planètes
Et je bénis la sagesse des dieux
Qui m’a conduit vers le bord où vous êtes.
Je viens offrir à Votre Majesté
Le sceptre heureux qu’elle a déjà porté.
N’accablez point un peuple qui vous aime,
Et reprenez ce triste diadème.


ARLEQUIN

J’ai renoncé pour toujours aux grandeurs.
Le plus beau trône est assis dans les pleurs ;
Et c’est bien moins le ciel que la sagesse
Qui m’a tiré du trône… que je laisse.
Ainsi partez, Monsieur l’ambassadeur,
Et votre prince est votre serviteur.


'LE PETIT MAÎTRE, ' pendant que l’ambassadeur
aborde Perette, avec surprise.

Mon cher ami, je te vois avec peine
Dans ce tonneau faire le Diogène.
Ce rôle-là, c’est le rôle d’un sot,
Et d’Arlequin ce n’est point là le lot.
Fripon, expert en fine espièglerie,
Et maître ès arts dans la forfanterie,
Coquin, reclus, tu prives bien des gens
Du fruit perdu de tes rares talents.
Çà, ventrebleu, laissons ces badinages.
Je viens t’offrir deux cents écus de gages,
Car j’ai besoin ici de ton esquif
Pour attraper dix mille francs d’un juif,
Pour un faux seing, pour séduire une abbesse,
Pour dérober l’écrin d’une comtesse,
Pour enlever une riche beauté
Des bras jaloux d’un tuteur emporté,
Pour arracher un contrat de mon père
Depuis deux mois laissé chez un notaire,
Et pour te battre à ma place en duel
Contre un quidam dont voici le cartel.
Laisse ta tonne et ta philosophie.
À ce métier l’on gagne mal sa vie.


'ARLEQUIN, ' s’oubliant un instant.

Mais on la perd au vôtre, mangrebleu !
Tuer, voler, c’est un fort joli jeu,

Il se renfrogne.

Et tout du moins tranchant le persiflage,
Si l’on méprise, on ne prend pas le sage.


'L’AMBASSADEUR, ' tandis que le petit maître
revient à Perette.

Ô le meilleur et le plus grand des rois,
Un peuple entier vous parle par ma voix.
Ne rompez point la trame fortunée
Qu’à vos talents promet la destinée,
Et rendez-vous aux désirs inquiets
De vos jaloux et malheureux sujets.


'ARLEQUIN, ' sombre.

Je ne veux point, et je vous le répète,
Du fardeau dont vous ornez ma tête.
Assurément c’est un mauvais métier
Que le métier de prince et de régner.
Je ne suis pas resté dans votre Lune
Beaucoup de temps, mais la pompe importune
De l’esclavage et de la vanité,
Du crime adroit que le luxe environne
Et des serpents qui rampent sous le trône
De ce métier m’ont assez dégoûté.


LE PETIT MAÎTRE

Eh ! bien, maraud, laisses-tu ta sagesse ?


'L’AMBASSADEUR, ' à genoux.

Que la pitié, Seigneur, vous intéresse !


PERETTE

Cher Arlequin, tu ne m’aimes donc plus ?


L’AMBASSADEUR

Nos vœux, Seigneur, seront-ils superflus ?


LE PETIT MAÎTRE

Eh ! bien, fripon qu’à bon droit on renomme,
Deux cents écus ne tentent point ton cœur ?


ARLEQUIN

Perette, et vous, Monsieur l’ambassadeur,
Et vous, Monsieur l’honnête gentilhomme,
Je vous réponds pour la dernière fois :
Que l’univers vous confonde tous trois !
A l’ambassadeur.
Je ne veux point gouverner votre empire.
Au petit maître.
Je ne veux point point pour vous me faire cuire.
A Perette.
Je ne veux point de votre sot amour.
Et tous les trois retirez-vous…