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Haut. Je vous plains de bon cœur. Bas, à part. L’amour, hélas ! a brouillé sa cervelle. Haut. Et la raison est un don bien trompeur. </poem>


ARLEQUIN, Sombre.

Je sens qu’ici mon cœur se renouvelle.
J’ai déposé dans mon tonneau céans
Les passions et les erreurs des sens.
Mon cœur est libre, il a rompu ses chaînes,
Et, dégagé des sottises humaines,
Je foule aux pieds les plaisirs, les amours…
Et le dessein en est pris pour toujours.


PERETTE, bas.

Hélas !
Haut.
Je suis votre servante.
Ce bonheur-là n’offre rien qui me tente.
Mais votre cœur, dans sa contrition,
N’est plus flatté d’aucune passion ?


ARLEQUIN

D’aucune, non ! L’homme est la girouette
Au gré de l’air qui change et pirouette.
À la même heure il veut et ne veut pas,
Et son esprit est toujours haut ou bas.
J’ai promené ma mobile fortune,
Bourgeois, seigneur, à la ville, à la cour,
Par mer, par terre, au diable, dans la Lune !
Caméléon, on m’a vu tour à tour,
Pour le bureau planter là le service,
Et le laissant, par un nouveau caprice,
Quitter Paris pour courir au Congo,
Et sur les mers traîner mon vertigo.
En vérité, tout est bien peu de chose.
Il me souvient qu’un jour on me fit roi.
Je n’étais pas plus heureux par ma foi.
Dût-on gloser sur la métamorphose,
C’est trop de peine ici-bas me donner.
Je ne veux plus [ni] servir ni régner.
De mal en pis j’ai parcouru le monde,
Et fixer mon âme vagabonde.
Monarque ou rien, tout cela m’est égal,
Et désormais, je suis… original.
Original, oui, morbleu ! c’est-à-dire
Que je veux vivre à mon sens désormais,
Narguer, flatter, parler, me taire, rire,
Aimer, haïr ! Sans craindre les caquets,
Dès aujourd’hui je veux faire l’épreuve
De ma façon de vivre toute neuve
Et persifler Messieurs les importants
Qui, dans ce lieu, vont survenir…
Voici quelqu’un. Son air de suffisance
Annonce ici quelque homme de finance.


SCÈNE III

'PERETTE, qui se désespère de sa folie ; 'Le FINANCIER ; ARLEQUIN.

ARLEQUIN, brusquement.

Où va Monsieur ?


'LE FINANCIER, ' surpris.

À l’endroit qu’il me plait,
Je ne vois pas ce que cela te fait.


'ARLEQUIN, ' regardant Perette de côté.

Cela me fait, maraud, que ta figure
À la vertu me semble faire injure.
Que cet habit tout doré de forfaits
Porte en écrit tous les maux que tu fais,
Et que tu viens dans cet endroit champêtre
Pour méditer quelque crime peut-être.
Voilà, maraud, ce qu’on voulait savoir.
Va maintenant où tu voudras. Bonsoir !


LE FINANCIER

J’admire bien qu’on n’ait pas pris main forte
Pour réprimer un fou de cette sorte.
On en a mis pour de moindres raisons
Plus d’une fois aux Petites Maisons.


PERETTE

Hélas !


'ARLEQUIN, ' examinant toujours Perette.

Je suis bien plus surpris encore,
Fat, que, malgré l’éclat qui te décore,
Un bon arrêt n’ait vengé la vertu
De tout le sang dont tu parais vêtu.


LE FINANCIER

Cet homme est fou. Quelle étrange manie !


ARLEQUIN,

Fat, je suis sage, et voilà ma folie.
Prends en passant cet avis de ma main :
Sois moins corsaire, et passe ton chemin.

Le financier se retire d’un air menaçant.


SCÈNE IV

PERETTE, ARLEQUIN

'PERETTE, ' désolée.

Que mes rigueurs coûtent cher à mon âme
Et vengent bien le malheur de sa flamme !
Quelle folie ! Il sera renfermé,
Et par ma faute et pour avoir aimé !
Le ciel jaloux va combler ma misère.