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établi ; il y pourvoirait par des créations de cours et d’exercices appropriés. Quoi de plus naturel que d’associer à ces tentatives les notabilités locales, en instituant un conseil de perfectionnement où elles siégeraient à côté des directeurs d’études ! Ce conseil n’aurait pas le défaut commun à toutes nos institutions universitaires : il ne serait pas entièrement professionnel et il comprendrait un élément régional. Le gouvernement pourrait lui déléguer sans crainte une partie du contrôle qu’il se croit tenu d’exercer. La personnalité du lycée ne s’effacerait pas sous l’uniformité des régies édictées d’en haut et du centre ; l’administration supérieure n’y interviendrait que par quelques principes d’ordre général et par le contrôle des résultats. L’espèce de conseil des anciens que formeraient les éducateurs dans les questions de discipline intérieure ne serait sans doute pas moins sobre de réglementation. Ses délibérations serviraient surtout à la mise en commun des expériences faites librement par chacun et des leçons utiles qu’elles contiennent. C’est aux directeurs qu’il appartiendrait de tracer ou d’approuver le plan d’études de chaque élève, de régler la répartition de son temps, d’autoriser les options permises entre les cours, d’appliquer, de suspendre ou d’atténuer les sanctions de la discipline. Ils profiteraient de ce pouvoir discrétionnaire pour laisser à chacun, selon sa nature d’esprit et son caractère moral, juste la mesure d’initiative qui peut le former graduellement au bon usage de la liberté ; ils se concerteraient à ce sujet avec le père de famille éclairé et attentif, avec les professeurs des classes que l’enfant traverse successivement, et avec le proviseur. L’on voit aisément comment tout le système prendrait de là une souplesse, une sûreté d’adaptation et, finalement, une efficacité qui lui ont toujours manqué.

Les mœurs et les traditions scolaires se prêteraient plus facilement qu’il ne parait d’abord à la réforme proposée. Le régime actuel ne met en jeu, du côté des professeurs, qu’un individualisme simplement honnête qui s’acquitte du devoir imposé par les règlements et ne se croit pas autorisé à rien chercher au delà ; du côté des élèves, que le respect de la loi commune et de la discipline, sans aucune initiative personnelle. Quelle résistance un système si peu vivant, si peu cohérent, si pauvre en conscience collective, pourrait-il opposer aux attractions puissantes de cette autre organisation si souple, si animée, si pénétrée d’une force plastique toujours en action ? J’incline à croire que toute la constitution de l’enseignement secondaire se remodèlerait facilement et que les nouveaux groupements s’opéreraient sans difficulté entre les éducateurs, les professeurs et les élèves, car aucune adhérence préexistante ne gênerait leurs mouvements. Je m’imagine le joyeux état d’esprit de l’enfant quittant l’air froid de la salle d’études banale pour l’air tiède d’une maison quasi familiale, accueilli, surveillé paternellement par un conseiller qu’il voit entouré d’un respect unanime, traité déjà en homme à qui on laisse en partie la décision et la responsabilité de ce qui le concerne, guidé néanmoins de façon que les plus gros mécomptes lui soient épargnés. Le jeune homme connaîtrait là un bonheur qui lui a été refusé jusqu’à ce jour et ce bonheur suffirait pour rendre inutiles, en grande partie, les stimulants artificiels, le ton comminatoire et les procédés trop souvent anti-éducateurs de l’instruction collective dans nos lycées.

La tâche des directeurs serait extrêmement attachante et je ne doute pas que plus d’un admirable éducateur ne se révèle parmi les maîtres auxquels on voit aujourd’hui un air ennuyé ou indifférent. La mise en demeure d’un grand devoir à remplir, les leçons d’une expérience quotidienne instituée sur des êtres réels et vivants, voilà le cours de pédagogie par excellence, et la science de l’éducation devrait à cet enseignement en action des progrès d’une sûreté et d’une solidité particulières.

E. Boutmy,
de l’Institut.

RIKKI-TIKKI-TAVI
Nouvelle.

Ceci est l’hstoire de la grande guerre que Rikki-tikki-tavi livra tout seul dans les salles de bain du grand bungalow, au cantonnement de Segowlee. Darzee, l’oiseau-tailleur, l’aida, et Chuchundra, le rat musqué, qui n’ose jamais marcher au milieu du plancher, mais se glisse toujours le long du mur, lui donna un avis ; mais Rikki-tikki fit la vraie besogne.

C’était une mangouste. Il rappelait assez un petit chat par la fourrure et la queue, mais plutôt une belette par la tête et les habitudes. Ses yeux étaient roses, comme le bout de son nez affairé ; il pouvait se gratter partout où il lui plaisait, avec n’importe quelle patte, de devant ou de derrière, à son choix ; il pouvait gonfler sa queue jusqu’à ce qu’elle ressemblât à un goupillon pour nettoyer les bouteilles, et son cri de guerre, lorsqu’il louvoyait à travers l’herbe longue, était : Rikk-tikk-tikki-tikki-tchk !

Un jour, les hautes eaux de l’été l’entraînèrent hors du terrier où il vivait avec son père et sa mère, et l’emportèrent, battant des pattes et gloussant, le long d’un fossé qui bordait une route. Il trouva là une petite touffe d’herbe qui flottait, et s’y cramponna jusqu’à ce qu’il perdît le sentiment. Quand il revint