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la suite de ses classes, plus il est capable de bien user de cette liberté. Toutefois il y aurait inconvénient à ce qu’il commençât trop tôt. On ferait donc durer jusqu’à la fin de la quatrième, la période où toutes les matières sont obligatoires ; la liberté de choix commencerait avec les humanités ; elle serait d’abord peu étendue mais irait rapidement croissant de façon à embrasser la moitié des matières au niveau de la rhétorique et de la philosophie[1].

Faciliter pour chaque élève la libre manifestation de la vocation intellectuelle et le libre développement de ses originalités natives, voilà la seconde des fins proposées à l’instruction secondaire. Cette instruction aura manqué son but si elle s’achève sans laisser à l’élève un goût ardent et décidé pour une étude quelconque. Je ne réponds pas de l’avenir intellectuel de celui qui a prêté la même docile et moyenne attention à toutes les branches d’études ; nul ne sait ce qu’il donnera, devenu son propre maître, si son activité d’esprit continuera ou s’il tournera court. Je me porte garant au contraire pour celui qu’une prédilection décidée aura conduit à creuser profondément une partie de la science, à la posséder parfaitement et à s’y sentir à l’aise ; son activité d’esprit ne s’arrêtera plus. Or, cette prédilection et ce goût ne seront vifs que s’ils sont vraiment conformes à la nature de chaque enfant, et les études doivent être organisées de manière à éclaircir cette vocation naturelle, à l’exalter même en commençant à la satisfaire ; nulle part un tel effet n’aura plus de chances de se produire que dans des travaux volontaires que le jeune homme entreprend pour un maître qui a su l’enthousiasmer, et dans les études approfondies auxquelles il est provoqué par les conférences spéciales à sujets limités. On voit la conséquence : de même que tout à l’heure on a donné de l’espace à l’enseignement, il faut ici donner du large et de l’air aux études en accordant à l’élève non seulement une faculté d’option étendue entre les cours spéciaux, mais une indépendance bien dosée dans la distribution de son travail et dans l’emploi de son temps. Dans le système actuel, les matières relativement nombreuses se partagent et dépècent en entier le temps du jeune homme ; il n’y en a pas trop pour toutes et pour chacune. Tout est réglé d’ailleurs de manière qu’il n’y ait aucun loisir de reste dont l’élève puisse disposer suivant ses pré (1) férences ; tout excédent de cette nature dont l’emploi ne serait pas fixé ne profiterait, on le croit du moins, qu’à l’oisiveté, à l’indiscipline et au désordre. Des études ainsi conçues ressemblent à un voyage de la compagnie Cookoù l’on fait de courtes stations, parfois même de simples haltes dans les hôtelleries, conformément à un programme commun et banal. On n’est autorisé à s’arrêter nulle part plus longtemps que le prospectus ne l’a prévu ; s’il se rencontre un endroit où l’on se plaise, on ne peut pas se permettre d’y prolonger son séjour, fût-ce une heure, et de rejoindre la caravane en sautant un point intermédiaire. Les souscripteurs de Cook ne jouissent de rien, si ce n’est du mouvement qu’ils se donnent et de la pensée qu’ils pourront dire : J’ai vu. En réaUté ils ne voient rien à fond, ils ont peu de chances de comprendre et de sentir ce qu’ils voient, de s’y attacher, de rapporter de leur longue pérégrination la curiosité d’en savoir davantage sur un lieu quelconque, le rêve ou le projet d’un nouveau et plus lent voyage dans une région déterminée.

Voilà, un peu trop accusée peut-être pour les besoins de la démonstration, la condition de beaucoup de nos élèves actuels des lycées. Il y a d’heureuses exceptions, mais trop rares et combattues par toutes les forces du système ; il faut que ces exceptions soient possibles et faciles et qu’elles deviennent la règle ; pour cela, il con-vient que l’élève ne soit pas trop pressé, trop tiraillé par le nombre et la variété des devoirs et trop empêché de s’abandonner, je dirai même de s’oublier, dans une étude qui lui plaît. Tout est disposé pour que cette occasion ne se présente pas ou qu’il soit dans l’impossibilité de la saisir. S’il l’a saisie malgré tant d’obstacles et s’il cède pour un temps à ses préférences, le voilà en lutte ouverte avec les règlements et la discipline ; il n’est plus l’écolier modèle qu’il voulait être ; pour un rien on va le confondre dans la catégorie des élèves indociles et mal notés ; il serait scandaleux de lui conseiller de braver ces conséquences, et il l’est qu’un tel conseil soit un sujet de scandale. L’élève se décourage donc et se résigne ; il rentre tristement dans le rang et continue à y marcher de son pas dégingandé de conscrit fatigué et ennuyé. Faisons donc en sorte qu’il ait un peu de temps à lui et qu’il puisse en avantager les branches de connaissances vers lesquelles U se sent porté, rien ne sera plus propre à lui faire sentir que le travail et l’effort ne sont pas toujours une peine ni seulement un devoir, qu’ils sont, à l’occasion, une source de —^dves joies. Le système actuel, par l’impression de contrainte et de monotonie, de régularité machinale qu’il mêle atout, crée trop souvent une sorte de préjugé contre le travail, préjugé qui accompagne le jeune homme dans la ie et dont il a souvent grand’peine à se défaire,

  1. Les enseignements seraient répartis en trois sections : 1° les matières obligatoires pour tout le monde, qui occuperaient en général les classes du matin ; 2° les enseignements que l’élève ajouterait de lui-même à cette première liste ; ils auraient lieu également dans les classes à la fin de l’après-midi ; 3° enfin les enseignements plus approfondis sur des matières déjà étudiées dans les classes, telles que le latin, l’histoire, les mathématiques. Ils seraient donnés dans des cours qui rempliraient le milieu de la journée.