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qui intéressent sans doute beaucoup messieurs tel et tel, mais le public fort médiocrement. Notre député a la prétention de travailler au relèvement national, notre poète de féconder le génie national, et Pons de préparer l’éducation du muscle national, tout comme M. Ledrain a celle de présider la petite église grâce à qui la question sociale sera résolue.

M. Demolins lui-même, tout particulariste qu’il est, entend faire servir son particularisme au bien de la communauté.

Au fond, l’homme en général, et l’homme célèbre en particulier, est souvent ridicule, mais il n’a pas de méchanceté ; il s’exagère volontiers le besoin que ses semblables ont de lui, mais c’est qu’il a le ferme propos de leur être utile.

Seulement, comme ces bonnes volontés, d’ailleurs également sincères, se dirigent dans des sens différents et même contradictoires, ce n’est pas au bout d’un an qu’on peut savoir où était l’erreur et où la vérité. L’événement le plus important de l’année 1898, à supposer qu’il y en ait eu quelqu’un d’important, on saura quel il est, si l’on y pense encore, dans un siècle ou deux.

Pour l’instant, le parti le plus raisonnable est de suspendre son jugement et d’imiter le sage scepticisme des faiseurs de revues.

J’en ai vu deux ou trois, dans autant de théâtres ou de cafés-concerts. Il n’y a pas d’emploi de soirée plus rafraîchissant.

La philosophie leur est interdite par le légitime souci de ne pas endormir le public, et la politique par la censure.

Les revues ne parlent donc ni de l’idéalisme, ni du fidéisme, ni du marxisme, ni du fouriérisme, ni de l’anglo-saxonisme ; elles sont muettes sur la revision de la constitution, le libéralisme, l’autoritarisme, la monarchie, la démocratie et les chasses présidentielles. Elles ne soufflent mot de « l’affaire », à quoi il n’a été encore fait allusion sur un théâtre que par Maurice Donnay, qui a toutes les audaces et tous les bonheurs, et a réussi à faire rire tout le monde sans blesser personne.

Les revuistes ont évité ce sujet brûlant. En revanche ils se sont étendus délicieusement sur le confort de la nouvelle prison de Fresnes, la révolution apportée dans l’industrie des fiacres et les mœurs des cochers par l’automobilisme, sur les embarras de Paris, sur le duel de Francisque Sarcey et d’Yvette Guilbert, sur l’inauguration de l’Opéra-Comique, bref sur tous les prétextes à plaisanteries de tout repos. La revue de fin d’année est le spectacle qui nous divise le moins, et c’est peut-être au café-concert que nous devrons de sauver quelques restes d’unité morale.

Les divertissements les plus simples sont aussi les plus salutaires. Il y a là une bonne leçon de modestie, heureusement propre à corriger l’insolence de l’homme. C’est folie à lui que de prétendre percer le mystère des choses ; c’est une insoutenable mégalomanie que de vouloir tendre perpétuellement son esprit vers la contemplation de l’être éternel. Au contraire, un couplet de vaudeville est une œuvre que l’homme est capable de comprendre pleinement et d’exécuter avec perfection. Et il garde le droit de ne point s’absorber tout entier dans ces amusettes, mais il prouverait un orgueil satanique, et fort périlleux, en affectant de les mépriser absolument.

Paul Souday.

PETITE CHRONIQUE DES LETTRES

Voilà plusieurs années que Mme la baronne de Suttner se consacre avec une inlassable ténacité à l’apostolat de la paix universelle. Elle a donné à cette chimérique et noble cause tout son temps, toute sa foi, tout l’effort d’une admirable intelligence. Mais nous ne connaissions jusqu’ici Mme la baronne de Suttner que de réputation ; nous ne la pouvions juger que sur le bien que ses amis disaient d’elle.

Nous allons la connaître autrement. L’ouvrage qui popularisa son nom dans son pays, il y a quatre ans, Bas les armes ! a été traduit en français par M. Paul Dupré, et cette traduction va être publiée.

Bas les armes ! est, comme la Case de l’Oncle Tom, un roman où l’auteur a développé dans la forme d’une histoire très simple, très humaine, la thèse que peut-être, en effet, la propagation de simples « tracts » à la mode anglaise n’eût pas suffi à faire aimer.

Un roman, même très bien fait, y suffira-t-il chez nous ?


Au milieu du chemin est le titre du prochain livre de M. Édouard Rod. Ses amis le définissent : le roman de l’homme mûr.


Le nouveau roman de Paul Adam, La Force, paraîtra le 13 de ce mois.


Philosophie :

M. Paul Janet vient de terminer une édition des Œuvres choisies de Leibnitz.

Un recueil d’Aphorismes et fragments de Nietzsche, nous sera donné dans quelques jours par M. Lichtenberger.

Le volume est sous presse.