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qu’il a fait ainsi ; mais on sent qu’il était nécessaire et l’on sait gré à l’auteur d’avoir, avec tant de désintéressement, porté tous ses soins à nous donner surtout une anthologie bien ordonnée.

Ce n’est déjà pas si facile. J. Dornis sera récompensé et de son travail, et de sa réserve ; car, évidemment, ce que le public demande en ce moment-ci, en pareille matière, c’est de pouvoir lire beaucoup de textes italiens. Il y en a un très grand nombre ici, et qui semblent très bien choisis, sans esprit de système, avec goût et avec un extrême souci d’être complet. Voilà qui est bien ; c’est-à-dire, voilà un livre consciencieux et un guide sûr. Toute notre gratitude à Jean Dornis.

Ce qui frappe, à passer ainsi en revue les poètes italiens contemporains, c’est d’abord leur nombre, et ils me semblent, dans une nation de trente millions d’habitants, être plus nombreux que les poètes français et beaucoup plus nombreux que les poètes allemands ; mais ces statistiques ne peuvent jamais être très sûres ; et puis la question de qualité opposée à la quantité dent toujours se jeter à la traverse ; et donc il n’y a pas lieu d’insister.

Cependant, le fait est à relever. Les poètes lisibles et qui ont quelque chose à dire, ou à peu près, et qui savent leur métier, sont plus que légion en Italie ; ils sont une armée. Ils sont, comme nombre, ce qu’Us étaient en France au xviiie siècle, ou de 1825 à 1845. Cela ne laisse pas d’être à considérer ; parce que cela prouve qu’on les lit. Il y a toujours plus de livres imprimés que de livres lus ; mais il n’y en a pas beaucoup plus. Ces choses sont encore en rapport. Ainsi, par exemple, après le roman, ce qui abonde chez nous, comme livre imprimé, c’est la critique. Cela veut dire que le public, sans lire tout cela, cependant en lit une bonne partie, est très curieux de théories et de commentaires, devient un public de vieux étudiants, et, par parenthèse, je n’en suis pas autrement ravi.

Le public italien, lui, évidemment sourit aux poètes, les invite par ses airs engageants, et, en lisant une centaine, en fait éclore mille. C’est la proportion ordinaire. Je voudrais que le public français eût quelque chose des goûts du public italien. Un peu moins de romans, un peu moins de critiques, un peu plus de vers, cela me paraîtrait plutôt un progrès.

Mais quoi ? Ce qui manque le plus aux poètes, en France, depuis un demi-siècle environ, c’est le public féminin. Les femmes étaient férues de poésie dans la première moitié de ce siècle. En immense majorité, elles y sont absolument insensibles à l’heure actuelle. J’en ignore complètement les raisons, nais je suis sûr du fait. Or les hommes lisent, pour eux, des livres spéciaux, et ne fréquentent guère théâtre, romanciers et poètes, que pour en causer avec les femmes ; et vous voyez tout de suite les conséquences. Du moment que les femmes ne les lisent point, les poètes en sont réduits à se lire les uns les autres. Mauvais public. Cultivez-vous les uns les autres revient un peu à dire : bêchez-vous mutuellement.

Donc, poètes estimables très nombreux en Italie, ce qui suppose publie amateur de vers très considérable en Italie, c’est au moins un premier fait d’histoire littéraire très intéressant à relever.

Ce dont on s’avise ensuite, c’est que tous ces poètes ont entre eux étroit parentage et ne sont pas extrêmement différents les uns des autres. Je sais bien que cette impression vient surtout de ce que nous les lisons en français, ou de ce que nous les lisons en italien avec une insuffisante connaissance de la langue italienne. Ce sont conditions excellentes pour trouver les poètes sensiblement pareils les uns aux autres ; car les poètes diffèrent surtout par le style, c’est-à-dire par la manière, c’est-à-dire par le tempérament ; et si nous voyons les étrangers, parfois, faire peu de différence entre Parny et Lamartine, entre Hugo et Vacquerie, entre Molière et Destouches, entre Champfleury et Flaubert, entre Ronsard et du Bartas, c’est que des uns et des autres l’essentiel leur échappe, à savoir le style et le ton, et, autrement dit, leur démarche même et leur physionomie, et autrement dit, ce qu’ils ont de plus personnel, et autrement dit, en dernière analyse, leur personne.

Et par conséquent, nous pouvons et nous devons faire la même erreur sur les poètes italiens que nous lisons en français ou que nous lisons mal en italien.

Cependant, à tout le moins, puis-je me hasarder à dire que les poètes italiens contemporains tournent dans un cercle relativement assez circonscrit, et sinon par leur physionomie, dont je suis mauvais juge, du moins par l’objet où ils s’appliquent, ne laissent pas d’être assez voisins les uns des autres. Tous romantiques, c’est le mot qui vient assez naturellement et presque d’une façon continue en les lisant.

J’entends par romantiques des hommes en qui dominent la sensibilité et l’imagination et qui ont accoutumé de n’employer la poésie qu’à nous faire des confidences sur leur état d’âme. J’entends par romantiques des élégiaques lyriques, pour parler en pédant, à dessein de parler clair ; et tous les poètes italiens contemporains sont des élégiaques lyriques, ou autrement dit des élégiaques qui ont de l’imagination ou qui font effort pour en avoir.

Il y aurait môme une petite classification à risquer à cet égard. Tout romantique est un élégiaque lyrique. Seulement, il y en a chez qui l’imagination