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Tous les parvenus affichaient, en effet, leur richesse et leur orgueil en un luxe criard dont ils s’entouraient. Les nouveaux riches n’estimaient les objets que sur leur cherté, non sur leur grâce et leur élégance. Aux murs des hôtels, on plissait les damas au lieu de les étendre, afin de démontrer son opulence en une exagération de décors. Les meubles, pour la même cause, étaient lourds et massifs ; les draperies devant les portes étaient posées au hasard, mais surtout flottantes et amples avec une profusion d’étoffe. Les couchettes du lit, dans les chambres, disparaissaient sous des rideaux somptueux, retenus par des couronnes de roses ou des flèches dorées. Les tables de nuit se dressaient à côté, en autels d’église, habillées de dentelles et de rubans. Et ces habitudes de mauvais goût durèrent jusqu’à ce que les architectes Fontaine et Percier les eurent proscrites.

Enfin quel relâchement dans la conversation ! Mme de Genlis, à cet égard, fait de très curieuses observations. Dans le langage de ce monde nouveau[1], on n’entendait jamais les mots de respect ou d’honneur, comme autrefois, mais ceux d’avantage et de civilité qui les remplaçaient. Les femmes ne se plaisaient qu’aux conversations puériles, aux récits de faits sans saveur et sans intérêt, à des médisances qui frisaient la jalousie. Elles s’inquiétaient, avant tout, de la manière dont elles étaient reçues dans un salon, et accompagnées à leur sortie, comptant leurs pas et n’en faisant point un de trop, de peur de paraître humbles. Leurs entrées étaient bruyantes, leurs sorties de même. Au dîner, tout le monde se rinçait la bouche à table, et non plus, comme autrefois, les femmes hors de la présence des hommes. On ne soupait plus, parce que les spectacles finissaient tard, à onze heures, au lieu de dix. Enfin, on ne trouvait partout que froideur et réserve, non cet accueil charmant de jadis, qui vous rendait heureux dès voire premier pas dans les salons de l’aristocratie.

Néanmoins, on ne se tutoyait plus, ajoute Miot de Mélito, et le mot de monsieur s’était substitué insensiblement à celui de citoyen. Quant aux femmes, si mal élevées qu’elles eussent été, elles s’efforçaient d’être gaies et spirituelles, mais elles n’y réunissaient point. Leur gaieté était de mauvais aloi, tournant, presque sans fin, au calembour. Ce fut, à cette époque, la marque de l’esprit mondain. Les dix ans de sauvages habitudes, l’usage des insultes, le mépris de la pitié, le respect de la violence avaient laissé des traces trop profondes pour disparaître en quelques mois ; et il subsistait encore trop de ruines, trop de causes de rancunes et de haines, pour rendre polies et avenantes les façons d’être de la société. Les uns se moquaient, les autres méprisaient. Il ne pouvait y avoir fusion, ni confiance, entre gens dont la naissance et l’éducation étaient si différentes, se rencontrant dans la même maison pour la première fois. Et puis, les officiers de passage à Paris, — et ils étaient nombreux, — y apportaient leur sans gêne des bivouacs et le langage de la soldatesque. Il semblait, en ce pays de traditions séculaires, où les mœurs avaient été si polies et si aimables, que l’on vécût en ces pays neufs où chacun agit suivant son bon plaisir, sans aucun souci des bienséances.

Gilbert Stenger.

(A suivre.)


POÈTES ITALIENS

L’éclatant succès que M. Fogazzaro et M. d’Annunzio ont obtenu en France a attiré l’attention sur le mouvement littéraire en Italie, et c’est tout à fait à une préoccupation du public français que répond Jean Dornis par le livre qu’il a publié récemment : la Poésie italienne contemporaine.

Jean Dornis, avec une modestie que tous les critiques devraient avoir, s’efface le plus qu’il peut, en son livre, derrière les auteurs dont il s’occupe. Citer beaucoup, traduire exactement, mettre les textes en note pour que l’on puisse lire dans l’original, qui peut, et contrôler la traduction ; se borner, comme critique, à classer les poètes selon les écoles, les nationalités et les affinités, à donner une courte biographie et à relier les fragments cités par quelques lignes de transition : tel est le procédé continuel de J. Dornis, procédé non seulement modeste, mais extrêmement utile, puisqu’il s’agit de faire connaître des poètes dont la réputation, pour la plupart, n’a point passé les Alpes et de mettre en goût de les lire en entier ; et puisqu’il s’agit aussi de montrer qu’ils sont nombreux.

Il fallait donc faire entrer beaucoup de figures dans cet album, y faire entrer beaucoup de textes, et réduire à son quasi minimum la part et l’office de l’historien littéraire et du critique.

Et, certes, Jean Dornis est un assez agréable écrivain et un assez fin critique pour que de temps en temps on ne laisse pas de regretter le sacrifice

  1. Mme de Genlis, Mémoires, t. V :

    « Le langage de la bonne société s’était altéré, dit-elle. On disait couramment : ce n’est pas l’embarras ; — des gens de même farine ; — cela est farce ; — cela coûte gros ; — un objet conséquent ; — elle a de l’usage ; — les Français, pour Comédie-Française ; — son équipage, au lieu de sa voiture ; — un castor, pour un chapeau ; — je vous fais excuse ; — il roule carrosse ; — une bonne trotte, pour une course ; — son dû, pour son salaire ; — elle est puissante, au lieu de grasse ; — flâner, pour muser ; — mortifié, pour fiché ; — votre demoiselle, pour Mlle votre fille… etc. »