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retard la neutralité du Yang Tsé et le droit d’ouvrir d’autres voies ferrées qui paralyseront les nôtres ? C’est la même tactique qu’au Niger. Partout où nous sommes, elle vient se ranger pour nous tuer. C’est ce qu’elle appelle la théorie des portes ouvertes !

Dans la mer Rouge, et sans préjudice de la prépondérance exceptionnelle que son occupation définitive de l’Égypte lui donnera, elle nous tient sous sa surveillance avec Aden, Zeilah, Berbera et Souakim, après nous avoir réduits à rien en nous poussant l’Italie aux jambes.

A Madagascar, possession française, sa tactique est plus intolérable encore. Comment justifier l’œuvre de haine sourde et incessante qu’y poursuivent contre nous ses agents ?

Depuis que Madagascar nous a été restituée (18 octobre 1816), malgré sir Farquhar, gouverneur de Maurice, qui refusait de nous la rendre et d’obéir au traité de Paris, sous prétexte qu’elle était une dépendance de son autorité, l’histoire de la grande île offre le tableau le plus scandaleux des luttes engagées, soutenues par l’Angleterre contre notre influence et nos droits. Elle a donné là, depuis quatre-vingts ans, une définition de la liberté commerciale telle qu’elle l’entend. Elle n’aurait cependant pas souffert, de la pari d’un autre, la centième partie de ce qu’elle nous a fait subir.

Faut-il parler de ses récriminations à propos des Hébrides ? Faut-il insister sur celles qu’elle formule à propos du Siam et qu’elle formulera encore ? C’est un délire de possession qui l’obsède. Le moindre îlot à nos portes, comme le petit groupe de Los, devant Konakry, et sans parler de nos îles normandes, hélas ! exalte son orgueil immense.

« Augmenter les possessions coloniales dans les limites de la force de l’Angleterre, disait M. Balfour, le 20 décembre dernier, afin d’avoir des débouchés pour le commerce ; empêcher que d’autres pays deviennent maîtres de trop de territoires nouveaux, parce que leur prise de possession implique l’établissement de barrières commerciales, telle est la politique impérialiste. » Autrement dit, l’Angleterre ne doit songer qu’à elle seule et accaparer tous les marchés du monde. Son devoir est de chercher à ivre en empêchant les autres nations d’en faire autant. Quant aux barrières commerciales auxquelles fait allusion M. Balfour, elles ne sont qu’un argument mystifiant puisque les traités avec l’Angleterre n’ont d’autre objet que de les empêcher, comme au Niger.

Mais, si l’Angleterre tolère qu’on possède un pays nouveau à côté d’elle, parce qu’elle ne peut faire autrement, c’est à la condition d’y introduire son commerce à son gré, d’y détruire au besoin le commerce du possesseur et d’y trouver, en somme, un débouché à l’exclusion du propriétaire. « Nous ne voulons aucun monopole d’influence à Pékin », disait encore M. Balfour, à la date du 5 avril 1898, devant la Chambre des communes, en parlant de la politique russe à l’égard de la Chine.

« Nous ne voulons pas non plus empêcher la Russie d’y avoir sa part d’influence… » C’est là un langage de casuiste. L’Angleterre ne veut de monopole pour personne que pour elle. Tout acte d’influence de la part d’un autre l’inquiète. Si nous réclamons à la Chine une réparation à propos d’un dommage, comme dans le cas du P. Fleury, l’Angleterre dit que cet acte d’énergie lui est désagréable. Elle insinue qu’ « une manifestation militaire de la France dans le Yunnan affecterait les intérêts et le prestige de la Grande-Bretagne. Oh ! les intérêts de l’Angleterre, combien ils pèsent sur les destinées du monde !

Si nous demandons l’extension de la concession française à Shangaï, l’Angleterre proteste. Si nous fortifions Bizerte, elle proteste encore. Si nous remuons quelque part, elle s’agite. Si nous ne bougeons pas, et c’est ce que nous faisons le plus souvent, elle rêve que nous nous agitons !

C’est qu’en effet nous tenons une place énorme dans son existence.

Nous n’avons pas plus d’affinités avec l’Angleterre que nous n’en avons avec les autres peuples. Notre hospitalité est tellement large que nous accueillons avec autant de facilité les mœurs allemandes, italiennes et russes, que celles de l’Angleterre. Mais celle-ci ne procède pas comme les autres. Elle s’impose avec présomption, comme quelqu’un à qui appartient la maison. Elle inonde la France de ses habitudes, de ses goûts, de ses industries et de ses marchands. Elle y est devenue propriétaire d’établissements de premier ordre et, de plus en plus, elle cherche à nous commanditer. C’est une façon de multiplier ses intérêts en France.

Quant à l’Algérie, moins sûre pour les placements d’argent, l’Angleterre se borne à y faire une propagande religieuse effrénée. C’est là encore un des articles de son programme politique, de ce programme qu’on trouve conciliable avec notre amitié, mais dont l’exécution nous conduirait à la mort. Elle cherche des alliances avec des peuples victorieux, avec les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, la Russie. C’est son droit, comme ce devrait être notre devoir d’en faire autant. Mais ces alliances n’ont pas seulement pour objet d’assurer sa liberté d’action en Asie et en Afrique. Elles tendent à lui permettre d’établir sa prépondérance dans le bassin de la Méditerranée. Elle laissera s’exercer l’influence russe et allemande en Asie Mineure. Elle a sa route de l’Inde assurée par l’occupation définitive de l’Égypte, et celle-ci lui sera légère le jour où la garantie internationale